les princes sorciers

Les Princes Sorciers

Partie 1

1. L’attente

L’endroit est paisible et serein, semblable à un cimetière. Les malheurs du monde, les soubresauts qui l’agitent, ses dangers et ses angoisses, ne peuvent l’atteindre. Il s’agit d’une ferme perdu au milieu de nulle part.
Lorsqu’il est arrivé, elle était abandonnée. Il s’y est installé et, depuis, il attend.
C’est sa seule occupation.

De temps à autre, il s’en va.
Il rejoint un hameau ou un village proche, peuplé de vieillards. Il choisit soigneusement sa victime, un éphémère en fin de vie, et se nourrit.
Après, il revient ici.
Cette vie ne lui déplait pas. Il la craignait, mais elle a ses avantages. Calme et ennuyeuse.
Evidemment, Rhon lui manque.
La vie lui manque.
C’est le prix à payer.
Le piège est tendu et il est l’appât.

Il a renoncé à faire du feu dans la grande cheminée. Pourtant, il est glacé. Malgré les années, il ne s’habitue pas à cette humidité, perpétuellement en suspension dans l’atmosphère, qui transperce la peau et pénètre les os.
Aucune chaleur ne semble pouvoir la chasser.

Moz lance un regard vers l’horloge. Il va bientôt être minuit. Sa longue attente va prendre fin. Il le sait depuis qu’il a entendu le bruit de moteur qui se rapproche.

La voiture est banale. Moz la trouve pourtant remarquable puisqu’elle se gare devant chez lui.
Il se tient maintenant devant une des fenêtres.
Un rayon de Lune caresse son visage. Il voit son reflet dans la vitre, toutes ses rides qui le font ressembler à une vieille pomme, les cernes noires qui encerclent des yeux injectés de sang, les cheveux gris et rares…
Ce n’est que la surface.
Cette pensée le fait sourire.

Trois hommes sortent du véhicule : deux armoires à glace aux cheveux courts, vêtus d’un costume gris, avec un regard fixe et vide, ainsi qu’un jeune homme à l’aspect frêle.
Son cerveau les renifle et reconnaît leur propriétaire. Son odeur mentale les imprègne.
Il l’a trouvé.
Un court instant, par jeu, pour ne pas lui faciliter la tâche, il songe à se débarrasser d’eux. Ils ne sont pas de taille. Deux zombies et un chien berger ne peuvent rivaliser avec lui. Mais il n’opposera aucune résistance. Il est sensé être fatigué et déprimé.

J’ai une mission à accomplir, se dit-il. Il faut savoir ce qui s’est passé sur l’île, où il cache les voraces et quelles sont ses intentions.

La voiture s’enfonce dans la nuit. Personne ne s’inquiétera de son absence. Personne ne s’est inquiété de sa présence.
Il n’existe pas.
Il s’est installé à l’avant.
La place du mort, se dit-il.
– Je m’appelle Joël, fait le jeune homme.
– Qui vous envoie ? lui demande Moz.
– Kaël, répond l’autre d’une voix respectueuse, sans quitter la route des yeux. Mais vous le savez déjà, n’est-ce pas ?
– Son odeur vous marque. Que me veut-il ?
– Il désire s’entretenir avec vous.
– Et qu’auriez-vous fait si j’avais refusé de vous suivre ?
Joël a un petit sourire résigné avant de répondre :
– Nous serions morts.
– Je ne suis qu’un vieillard, ricane Moz.
– Je sais ce que vous êtes, murmure le jeune homme.
– Bon toutou, fait Moz avant d’éclater de rire.