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les princes sorciers

By: Alb
folder French › Originals
Rating: Adult
Chapters: 32
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Disclaimer: This is a work of fiction. Any resemblance of characters to actual persons, living or dead, is purely coincidental. The Author holds exclusive rights to this work. Unauthorized duplication is prohibited.
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les affres de Lucas

15. les affres de Lucas

Lucas, lorsqu’il se retrouve seul avec son ami, Bambi, a toujours la même question qui le taraude. C’est celle qu’il repousse dès qu’elle lui vient à l’esprit, celle qu’il ne posera jamais parce qu’elle est trop importante, parce que ce la réponse dépendra son avenir. Avenir : un bien grand mot. Ça veut juste dire : ce qu’il fera après avoir obtenu la réponse. C’est le genre de question qu’on n’ose pas poser parce qu’elle donne l’impression de pouvoir tout résoudre, en bien ou en mal.
C’est faux, évidemment. De toute façon, la question est sans importance. Ce qui compte, donc ce qu’il craint, c’est la réponse, et aussi la réaction qui l’accompagnera.
Depuis sa naissance, il a la sensation que le monde lui envoie sans cesse le même message : ce qu’il souhaite, c’est ce qui ne vient jamais.
C’est pour ça qu’il n’ose pas poser la question, même si ça veut dire qu’il se la posera éternellement et qu’il en voudra donc à Bambi de ne pas y répondre.
Il lui en veut pour ça. C’est idiot, et il ne le sait que trop bien. Il pourrait tout aussi bien se dire que c’est lui qui est idiot.
Il se le dit.
Les questions, voici le problème de l’être humain. S’il ignorait ce que c’est, il serait tranquille. Il aurait la chance d’être heureux. Il ne souffrirait pas. Le paradis, c’est une vie sans questions. L’ennui aussi…
Sauf que lui, il cumule. Il s’ennuie et il se pose des questions, dont il craint les réponses, et qu’il n’ose donc poser. Enfin, il s’agit surtout d’une question.

Oh Bambi, se dit Lucas. Si tu savais comme je t’en veux juste parce que je n’ose pas te demander.

Ne pas se poser de questions, c’est être heureux. C’est aussi ne plus être humain. Etre heureux, c’est donc ne plus être humain, et être humain, c’est de ne pas être heureux. Lorsqu’on en arrive à un tel raisonnement, il vaut mieux capituler définitivement. Comme ses parents ont su le faire : rendre les armes et cesser de vivre.
Rien chez Lucas ne le prédispose à admettre une telle conclusion.

Je devrais me lancer, se dit-il. Au moins, je saurai… Qu’est-ce que je risque, après tout ? Qu’il se moque de moi ? Qu’il me rejette ? Ne m’adresse plus la parole ? Le raconte à tout le monde ?
Je ne risque rien si ce n’est de le perdre.
Ou alors qu’il réponde exactement ce que je souhaite entendre.
C’est encore plus angoissant.

Lucas est habitué à se prendre la tête. Il en a largement le temps puisqu’il est seul. Ce n’est pas un choix, juste une réalité. C’est ainsi. Ça fait partie de sa vie. Comme la pluie, le lycée, Bambi et ce qu’il signifie pour lui.
Il sait pourquoi il est seul : à cause de ses parents. Personne n’a eu à lui expliquer pourquoi les autres l’évitent, pourquoi il n’est jamais invité à un anniversaire, ni pourquoi personne ne vient jamais au sien.
Il n’a nul besoin d’explications. Même à ses yeux, ses parents sont bizarres. Ils le sont devenus dès lors qu’ils ont intégré Renouveau Spirituel. C’est comme s’il était noir ou arabe. On ne choisit pas. On l’est, et on vit avec. On l’est surtout parce que c’est inscrit dans le regard de l’autre… De tous les autres, sauf Bambi.
C’est ce qui le rend remarquable, attachant, exceptionnel, bien plus que sa beauté. C’est aussi ce qui le rend énervant. Il est innocent.
Il l’ignore comme il ignore que…
A ce stade, Lucas tente l’impossible : cesser de penser, d’y penser. Et ce, pour une raison évidente : Ne pas se mettre à pleurer.

Lucas aime Bambi. Il l’aime vraiment. Il en est amoureux, à la folie. Depuis toujours, même s’il le sait depuis peu. Il fut une époque où Bambi était juste un copain, le seul, l’unique, l’inespéré…

Malgré son âge, Lucas sait très bien ce que ça signifie d’être amoureux. C’est vivre chaque jour avec un terrifiant secret qu’on n’ose avouer, à personne, même pas à soi-même, ou alors avec d’énormes difficultés, surtout lorsqu’on est un garçon et que l’objet de son désir est un autre garçon.
C’est se dire en un interminable litanie intérieure, tout en se mordant les lèvres pour ne pas le hurler : je veux l’autre, le dominer, le dompter, le posséder, me l’approprier… Mais aussi le chérir et le protéger. Je veux être l’autre, l’avoir, le rendre semblable à moi, découvrir ce qui le rend différent et pourquoi il m’obsède à ce point. Le punir pour ce qu’il éveille en moi, et le récompenser pour la même raison.
Lucas veut que Bambi change, et se dit aussitôt qu’il ne faut surtout pas qu’il change.
Il gère du mieux qu’il le peut, c’est-à-dire mal.
Cet obscur objet du désir. C’est le titre d’un film. Il n’aime pas le film, mais il en adore le titre, tellement proche de ce qu’il ressent.
Il idéalise son ami. Il voudrait qu’il soit parfait, mais il ne l’est pas. Alors, ça le fait enrager.
Parfois, il se dit qu’il est un imbécile. Pas un imbécile heureux. Ça, ce serait trop beau. Non, juste un parfait imbécile. Sa vie est suffisamment compliquée. Pourquoi s’acharne-t-il à accumuler les handicaps ? Lorsqu’on est un garçon dont les parents font parties d’une secte, on évite de tomber amoureux d’un autre garçon. La société accepte, mais ça veut juste dire qu’elle fait avec parce qu’elle ne peut pas faire autrement. Tu parles de tolérance…

Lucas se sent furieux maintenant. Il en veut au monde entier, à commencer par Bambi, au point qu’il n’ose plus le regarder, de peur de le foudroyer sur place.
Il a besoin d’aide, mais personne ne peut venir à son secours.
Ses parents ne peuvent l’aider. Déjà, des parents normaux ne sont pas d’une grande utilité lorsqu’il s’agit de régler ce type de problèmes. Les siens, ce n’est même pas la peine d’y penser.
La réponse qu’il obtient d’eux est toujours la même, qu’il s’agit de savoir pourquoi il n’existe pas de lasagnes à la fraise ou pourquoi le monde est tellement compliqué : tu devrais rencontrer Michaël Berger. Lui sait.
Il ne vit pas avec eux, juste à côté d’eux. Il ignore qui ils sont et ce qu’ils pensent. Non, ils ne pensent plus. Ce sont des zombies, des robots qui ne se posent jamais de questions. Pour chaque situation, ils ont un mode d’emploi. Lorsque la situation est trop extrême, que leur programmation ne leur permet pas d’y faire face, ils appellent l’assistance qui accourt aussitôt.
A leur façon, ils sont heureux. Seulement, ils ne lui sont d’aucune utilité. Et aussi, ils lui rendent la vie impossible.

Bambi est différent aujourd’hui. Lucas craint que ce ne soit qu’une illusion, de celles qui parsèment sa vie, qu’il tente d’ignorer parce que, lorsqu’elles se révèlent pour ce qu’elles sont, ça fait trop mal.
Ceci dit, Bambi le regarde d’une manière nouvelle et inattendue, un peu comme s’il le voyait pour ce qu’il est, une somme d’envies qu’il ne peut exprimer, et non juste un élément intangible du quotidien. Il repousse cette idée, trop proche de ses souhaits pour qu’elle soit ancrée dans le réel. Le monde est vide. Il y a juste lui, Lucas, et son mal vivre.
Assis sur un muret en briques rouges, se forçant à sourire sans y arriver, et cherchant désespérément une futilité à dire en faisant semblant de s’y intéresser.
De l’autre côté de la route, il y a un muret identique. Une pelouse, pas identique du tout parce que jaunâtre, et un pavillon. Le sien. L’endroit qu’il appelle : chez moi.
Ses parents s’y trouvent.
Que font-ils ?
Lucas les imagine devant la photo de Big boss, le contemplant avec adoration.
Il se rappelle le jour où ils ont réussi à le convaincre de le suivre. Ça a été la seule fois. Il s’est retrouvé au milieu de quelques dizaines de zombies, semblables à ses parents, devant l’Hôtel de ville, manifestant pour la liberté de penser.
En ce qui concerne ses parents, c’est plutôt la liberté de ne pas penser.
Il ne s’est jamais senti aussi seul qu’au milieu de cette foule, à se demander ce qu’il faisait là avec ces inconnus.
C’était un peu comme s’il avait été paralytique, muet, sourd et aveugle, incapable de percevoir l’extérieur et de communiquer. La véritable solitude.
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