les princes sorciers

17. rupture

Bambi lance un nouveau regard vers Lucas avant de fixer le bout de ses pieds comme s’il espérait y trouver les réponses aux questions qu’il se pose.
Lucas est un garçon banal, sans aucun signe particulier, comme il en existe tellement ici et partout ailleurs, se dit-il. Un visage de gamin où l’adulte commence à percer. Des cheveux noirs, coupés très courts, presque rasés. Un corps musclé et sans graisse superflue. Un mec, un vrai, songe Bambi, avec un mélange d’ironie et d’amertume. Pas comme moi. Pas le genre qu’on va affubler d’un surnom ridicule dont il n’arrivera plus à se défaire tellement il lui colle à la peau.
Qui aurait l’idée saugrenue de l’appeler Jeannot Lapin, Winnie l’ourson ou… Bambi ? Non, ça, c’est pour des petits mecs comme moi.
Je suis mignon et je déteste ça, se dit-il encore.
Il fait la grimace en essayant désespérément de repousser les pensées qui affluent en une masse compacte. Comment est-ce avec Lucas ? Comme dans son rêve, avec Zhio, aussi brutal, ou alors doux et tendre ? Quel effet cela fait-il de l’embrasser et se retrouver tout contre lui ? A quoi ressemble Lucas nu et en érection ? Nu, il devrait savoir. Il l’a vu dans les douches après le sport. C’est juste qu’il ne l’a jamais vraiment regardé.
Bambi l’imagine derrière lui, son sexe raide contre ses fesses et…
- Merde, hurle-t-il.
Lucas le regarde, surpris.
- C’est à cause de ton père ? demande-il.
- Oui, c’est mon père, ment Bambi, furieux. Qui d’autre ? Ce sale con…
Il est au bord des larmes.

Une limousine noire s’arrête devant la maison de Lucas.
- Tes parents ont de la visite, fait Bambi.
- Oui, murmure Lucas en se retenant de gronder de colère.
Ils voient Joël descendre et ouvrir la portière arrière.
- Je refuse d’en parler, ajoute Lucas en serrant les poings.
Bambi hoche la tête d’un air entendu tandis que Kaël sort de la voiture. Leurs regards se croisent un court instant. Le prince sorcier, en le voyant, a comme un sursaut. Il hésite, dévisage longuement le garçon avant de se détourner et aller vers la maison des Redoux.
Le chauffeur allume une cigarette, en restant debout devant la limousine noire.

Bambi a déjà oublié Kaël. Pour lui, ce n’est qu’un inconnu. Il en a parlé pour briser le silence, dans l’espoir de pouvoir dire ensuite ce qui le tracasse à son ami.
Tu es un imbécile, se dit-il encore, furieux envers lui-même.
- Tu le connais ? demande-il à Lucas.
- Oui, je le connais, répond son ami. Trop. C’est Michaël Berger, le gourou de Renouveau Spirituel. Celui qui va sauver le monde et mener l’humanité vers le bonheur.
- Oh, sourit Bambi. Le pape. Tes parents doivent être honorés de sa visite, alors…
Lucas se met à rire. Il lance un regard vers Bambi et a un petit sursaut de surprise. Son ami le contemple d’un air bizarre. Comme s’il voulait lui dire quelque chose, mais qu’il n’osait pas.
Bambi, subitement, respire profondément. Il se fait violence et se lance, comme on se jette à l’eau lorsqu’elle est trop froide.
Il dit très vite, sans réfléchir :
- Est-ce que tu resteras mon ami si je te dis que j’ai fait l’amour avec un homme ?
Il reste interloqué, surpris parce qu’il vient de dire. Ce n’est pas ça, se dit-il.
Ce n’est pas ça du tout qu’il voulait dire.

Lucas le contemple comme s’il venait de dire la pire insanité qui soit. C’est le cas, se dit Bambi, tout en se tortillant, mal à l’aise.
- Je veux dire…, se met-il à bafouiller, incapable de trouver ses mots. Il dit qu’il m’aime… Moi, je ne sais pas si…
Il s’arrête et se prend la tête entre les mains, conscient de s’enfoncer.
- J’en rêve, s’entend-il dire.

Lucas reste silencieux. Bambi respire profondément, essaye de retrouver suffisamment de calme pour mieux s’expliquer avant de relever la tête et fixer son ami. Celui-ci est debout, face à lui. Il le contemple d’un air furieux. Ses poings sont serrés comme s’il allait le frapper.
Il est homophobe, se dit Bambi en sursautant.
- Ce n’est qu’un rêve, murmure-t-il.
- Je t’aime, crétin, fait Lucas, des larmes de rage aux coins des yeux.
C’est un chuchotement, mais Bambi a l’impression que son ami hurle à plein poumon.
- Je t’aime, répète Lucas, des sanglots dans la voix. Et toi, tu me dis que tu en aimes un autre.
Après ces mots, il se précipite vers le pavillon de ses parents.
Bambi le suit du regard. Il le voit passer devant Joël, puis disparaître dans la maison.
Il est atterré, interloqué, sans voix.
- Ce n’est pas ce que je voulais dire, fait-il d’une voix brisée. Ce n’est qu’un rêve, tu sais…
Mais Lucas ne peut pas l’entendre.

La tête de Bambi est vide et les paroles de Lucas y résonnent.
Il m’aime ?
Et la seule chose qu’il arrive à formuler approximativement, c’est : Ah bon ?