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les princes sorciers

By: Alb
folder French › Originals
Rating: Adult
Chapters: 32
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Disclaimer: This is a work of fiction. Any resemblance of characters to actual persons, living or dead, is purely coincidental. The Author holds exclusive rights to this work. Unauthorized duplication is prohibited.
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Lucas

Ce sont des zombies, se dit Lucas en lançant un regard à ses parents.
Ils sont tous les trois dans la cuisine. Elle est en parfaite adéquation avec les autres pièces du pavillon qu’ils louent. Les murs ont besoin d’être repeints et l’ameublement se réduit au strict minimum : une table et quatre chaises en tek blanc, un vieux meuble récupéré dans une décharge et qui risque de s’écrouler au moindre éternuement, un réfrigérateur bruyant et asthmatique, et une cuisinière à gaz recouverte de graisse et sauce tomate. L’évier déborde de vaisselles sales.
– Il n’y a plus de céréales, fait Lucas d’un ton de reproche.
– Il reste des biscottes, murmure sa mère, debout devant la porte, prête à partir.
Non, rectifie mentalement l’adolescent. Ce ne sont pas des zombies. Eux au moins ont l’instinct de survie. Ils pensent à se nourrir, en dévorant les vivants. Pas mes parents. Ce sont plutôt des robots désuets, avec un programme minimum et défectueux. Des enveloppes vides, des marionnettes. Et Lucas hait celui qui tire les ficelles.
Par acquis de conscience, mais sans grandes illusions, il dit encore :
– J’ai besoin de fringues. Je n’ai plus que ce survêtement et je le porte depuis des mois…
Sa mère hoche la tête sans répondre. Son père est venu la rejoindre.
– Tu es certain de ne pas vouloir venir ? demande-il à son fils. Michaël aimerait discuter avec toi. Ce serait l’occasion de…
– Non, l’interrompt Lucas en hurlant. Pas question.
Il hésite à peine avant d’ajouter d’un ton méchant :
– Je ne veux pas vous ressembler.
Ses parents ne réagissent pas à cette pique.
– Comme tu veux, fait son père sans insister.
Ils s’en vont, le laissant seul.

Le pavillon qu’ils occupent ressemble à ceux qui l’entourent, à quelques détails près : la pelouse n’est pas entretenue ; il manque des tuiles sur le toit ; le carreau d’une fenêtre a été remplacé par un bout de carton ; plus une multitude d’autres éléments qui font qu’il n’a absolument rien à voir avec les autres. C’est un peu comme s’il y avait une énorme pancarte devant, avec écrit en grosses lettres : Pauvre.
Les voisins se plaignent, sans résultats jusqu’à présent, mais ça ne saurait tarder.
Ils vivent dans ce petit lotissement d’une vingtaine de maisons cossues, construits pour une classe moyenne dont ils ne font par parties, et ils font tache.
Ça ne gêne pas ses parents. Le regard des autres les indiffère.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Lorsqu’ils ont aménagé ici, ils ont fait des efforts méritoires pour donner le change.
Ça n’a pas duré.

Lucas se poste devant la fenêtre et les voit monter dans leur voiture. Elle ne dépareille en rien le pavillon où ils habitent, se dit-il, déprimé.
Après plusieurs essais, elle consent à démarrer.
Il les regarde s’éloigner.
Il les préférait avant lorsqu’ils se débattaient avec leurs problèmes d’argent.
Les problèmes sont restés, mais ils ne se débattent plus.
C’est ça le pire : rien ne les atteint, surtout pas lui. Il peut les injurier, crier, pleurer, supplier… C’est inutile.
Parfois, il est tellement excédé qu’il a envie de les frapper. Juste pour voir s’ils réagissent. Il est certain que non… Mais il n’ose pas. Ce sont ses parents, tout de même.
Enfin, ils l’étaient avant qu’ils ne rejoignent Renouveau Spirituel.

Le changement a été brutal.
Ils sont partis un samedi matin afin d’assister à une réunion d’informations. C’était encore son père, furieux, criant après sa femme, la traitant de poivrote. C’était encore sa mère. Elle titubait, ayant démarré la journée au martini gin, ce qui ne l’empêchait pas de répliquer à son mari.
Lucas se rappelle très bien ce qu’il a ressenti ce matin-là. Il a fermé les yeux et a prié. Mon Dieu, s’est-il dit. Fais qu’ils changent.
Sa prière a été exaucée. Lorsqu’ils sont rentrés, ne fin d’après midi, ils étaient différents : calmes, sereins, indifférents.
Ce n’était plus ses parents.

La vie de Lucas a radicalement changé à partir de là.
Ce n’était pas facile avant, mais ses parents, sans y parvenir, essayaient de donner le change. Ils lui donnaient un peu d’argent et il n’était pas tenu à l’écart par les autres gamins. Ils étaient condescendants, mais ça allait.
Seulement, être le rejeton des membres d’une secte, ça ne pardonne pas. Du jour au lendemain, il s’est retrouvé isolé. Enfin, presque.
Bambi est arrivé à point nommé pour que sa solitude ne soit pas complète.
Un jour, Lucas lui a dit :
– Sans toi, je serais devenu méchants.
– Méchants ? a répété son ami, surpris.
Lucas s’est contenté de rire, sans préciser davantage sa pensée.
– Tu aurais rejoint le côté obscur ? a ironisé Bambi.
Après, il l’a appelé Dark Vador pendant plusieurs semaines, jusqu’à ce que le jeu les lasse tous les deux.

Lucas croque en vitesse quelques biscottes, en évitant soigneusement de voir la date limite de consommation inscrite sur le carton, avant de sortir et rejoindre Bambi.
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