les princes sorciers
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French › Originals
Rating:
Adult
Chapters:
32
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1,360
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Disclaimer:
This is a work of fiction. Any resemblance of characters to actual persons, living or dead, is purely coincidental. The Author holds exclusive rights to this work. Unauthorized duplication is prohibited.
Michaël
Michaël contemple la petite foule assemblée devant lui. Ils sont sagement assis sur les chaises disposées en rangées et faisant face à l’estrade sur laquelle il se tient.
C’est un homme d’une cinquantaine d’années, au visage rassurant et jovial, avec un léger embonpoint. Dans son costume bleu foncé, taillé sur mesure, il donne l’aspect d’un notable de province, bon père de famille. Pour accentuer cet effet, il a ajouté un crâne légèrement dégarni et s’est doté d’une taille raisonnable, un mètre soixante quinze. Ni beau, ni laid : le français de souche, moyen. C’est l’image qu’il a décidé de donner.
Son objectif est de ne pas inquiéter. Ses activités s’en chargent.
Je deviens trop voyant, songe-t-il. Il est peut-être temps de changer de peau.
La mairie a d’abord refusé de lui louer la salle des fêtes où il organise sa réunion d’informations. Il a dû rappeler au maire, à mots couverts, que les membres de Renouveau Spirituel sont des citoyens modèles, parfaitement intégrés et aussi tous inscrits sur les listes électorales.
Cela a suffit à le faire changer d’avis.
Péripétie sans intérêt, se dit-il. Tout va bien. Silona lui appartient.
Mais ce n’est pas son objectif, juste une étape, et ça risque d’attirer l’attention de trop de personnes.
Une jeune femme vêtue d’un tailleur rose bonbon vient jusqu’à lui. Elle lui glisse à l’oreille :
– Joël est rentré. Il vous attend à la Cité des Temps nouveaux. Tout s’est bien passé.
Après ces mots, elle s’éloigne.
Michaël la suit des yeux en réprimant un sourire narquois.
La Cité des Temps nouveaux : c’est ainsi qu’il a baptisé les vieux entrepôts qu’il a racheté pour une bouchée de pain et où vivent la plus grande partie de ses adeptes.
Son sens de l’humour est lamentable.
Il est temps de démarrer, se dit-il. La salle n’est pas pleine, mais elle ne l’est jamais. Il respire profondément avant de se mettre à parler. Le silence se fait aussitôt.
Je suis votre maître, pense-t-il.
Plus de la moitié de l’auditoire baisse docilement la tête à cette injonction mentale. Il sourit, sans cesser de parler, dévidant son petit discours bien rodé tout en parcourant du regard les gens assis.
Certains n’ont nul besoin d’être convaincu. Ils sont déjà membres de la secte.
D’autres s’ennuient. Ils étouffent avec difficulté un bâillement. Ils sont ici et se demandent pourquoi. Leurs motivations sont nombreuses et variées : pour faire plaisir à un membre de la famille, déjà adepte ; pour conclure un contrat ; pour plaire à un supérieur hiérarchique ; pour draguer ; par curiosité…
D’autres encore ricanent. Eux sont là pour conforter leur cynisme.
Ils ne comptent pas.
Ceux qui l’intéressent ne sont pas nombreux, trois ou quatre. Ils sont accrochés à ses paroles. Ils entendent ce qu’ils ont envie d’entendre. C’est pour eux qu’il parle.
Ils seront sauvés et garderont leur précieuse petite âme, cet ego si nécessaire à ses plans, décidés à le suivre en toute conscience.
Oui, eux comptent.
Ils rejoindront la meute et deviendront des chiens bergers chargés de veiller sur son troupeau.
Les autres ? Ceux qui s’ennuient et ceux qui ricanent ? Ils rejoindront le troupeau.
Il n’existe aucune autre alternative. Ils l’ignorent, mais le simple fait d’être ici scelle leur destin.
Je suis le berger, songe-t-il. C’est ma raison d’être, ma nature.
Quelques applaudissements incongrus saluent la fin de son petit discours. Il hoche la tête tout en survolant une fois de plus l’auditoire d’un regard pénétrant.
Celui d’un berger.
Il jauge chacun d’eux en quelques secondes. Il les trie.
Michaël n’est pas son vrai prénom, pas plus que Berger n’est son nom de famille. C’est un clin d’œil, une indication sur sa nature. Les initiés et ses congénères le connaissent en tant que Kaël. Il est un prince sorcier, un ancien gardien, un de ceux que l’humanité s’est empressée d’oublier, travestissant ses souvenirs en légendes et contes.
Son réel aspect, il le dissimule aussi soigneusement que son identité.
Comme tous les siens.
Il les fixe l’un après l’autre, et chaque récalcitrant a la sensation angoissante qu’on lui arrache une partie de sa conscience et qu’elle s’envole vers l’estrade, vers l’homme qui s’y tient.
Ce qu’il leur arrache est l’élément le plus intime, le plus secret, celui dont ils n’osent parler à personne, celui dont ils osent à peine s’avouer l’existence.
Kaël les captive subitement. Ils ne peuvent le quitter du regard. Ils le craignent aussi.
Certains gémissent. Une femme sanglote. Les souvenirs remontent à la surface. Des souvenirs qui ne leur appartiennent pas, ceux de lointains ancêtres, en provenance d’un passé oublié.
Leur vie, jusque là, était à peu près normale, presque paisible. Mais ils se rappellent et la peur surgit. Celle que ressent le membre d’un troupeau face à son gardien.
Chacun a saisi l’essentiel.
Quoi que puisse leur demander Kaël, ils obéiront. Le prince sorcier a capté leurs âmes. Ils sont perdus, mais ils sont aussi gagnés. Il vient de donner un sens à leur vie : lui obéir aveuglément. Ça les rendra heureux. Ils n’auront plus à réfléchir, plus de choix à faire. Pour chaque moment de leur vie, ils consulteront le mode d’emploi qu’il vient de leur livrer en remplacement de ce qu’il leur a pris : l’âme, la conscience d’être, le libre arbitre.
Pour les siens, ce n’est qu’un parasite qui infecte leurs troupeaux. En le retirant, il leur restitue leur innocence originelle… Enfin, presque. Ils ne sont plus pareils aux éphémères d’antan. Ce sont des zombies.
Si ce n’était pas le cas, le problème serait réglé depuis longtemps.
Etre ou avoir ?
En ce qui les concerne, la question ne se pose plus. Il les a, et ils ne sont plus.
Ils n’auront plus à se réfugier dans un passé illusoire, ni à se projeter dans un avenir improbable. Désormais, ils vivront dans un présent éternel, et ils seront heureux.
Le marché est équitable.
Kaël ne leur a pas demandé leur avis et, pourtant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, il est librement consenti.
Ainsi sont les hommes. Tous les princes le savent. Tous les sorciers le savent. Or, Kaël est un prince sorcier. Il sait donc mieux que quiconque ce que les hommes désirent : retrouver leur nature et vivre en conformité avec cette nature retrouvée.
Ainsi est le troupeau. Il veut être guidé, sans avoir à se soucier du chemin à suivre.
Le pacte est signé.
C’est un marché de dupes. Les dupes le savent. C’est ce qui fait son charme, et aussi sa valeur.
Il est inscrit profondément dans les gênes de chacun des signataires.
C’est un homme d’une cinquantaine d’années, au visage rassurant et jovial, avec un léger embonpoint. Dans son costume bleu foncé, taillé sur mesure, il donne l’aspect d’un notable de province, bon père de famille. Pour accentuer cet effet, il a ajouté un crâne légèrement dégarni et s’est doté d’une taille raisonnable, un mètre soixante quinze. Ni beau, ni laid : le français de souche, moyen. C’est l’image qu’il a décidé de donner.
Son objectif est de ne pas inquiéter. Ses activités s’en chargent.
Je deviens trop voyant, songe-t-il. Il est peut-être temps de changer de peau.
La mairie a d’abord refusé de lui louer la salle des fêtes où il organise sa réunion d’informations. Il a dû rappeler au maire, à mots couverts, que les membres de Renouveau Spirituel sont des citoyens modèles, parfaitement intégrés et aussi tous inscrits sur les listes électorales.
Cela a suffit à le faire changer d’avis.
Péripétie sans intérêt, se dit-il. Tout va bien. Silona lui appartient.
Mais ce n’est pas son objectif, juste une étape, et ça risque d’attirer l’attention de trop de personnes.
Une jeune femme vêtue d’un tailleur rose bonbon vient jusqu’à lui. Elle lui glisse à l’oreille :
– Joël est rentré. Il vous attend à la Cité des Temps nouveaux. Tout s’est bien passé.
Après ces mots, elle s’éloigne.
Michaël la suit des yeux en réprimant un sourire narquois.
La Cité des Temps nouveaux : c’est ainsi qu’il a baptisé les vieux entrepôts qu’il a racheté pour une bouchée de pain et où vivent la plus grande partie de ses adeptes.
Son sens de l’humour est lamentable.
Il est temps de démarrer, se dit-il. La salle n’est pas pleine, mais elle ne l’est jamais. Il respire profondément avant de se mettre à parler. Le silence se fait aussitôt.
Je suis votre maître, pense-t-il.
Plus de la moitié de l’auditoire baisse docilement la tête à cette injonction mentale. Il sourit, sans cesser de parler, dévidant son petit discours bien rodé tout en parcourant du regard les gens assis.
Certains n’ont nul besoin d’être convaincu. Ils sont déjà membres de la secte.
D’autres s’ennuient. Ils étouffent avec difficulté un bâillement. Ils sont ici et se demandent pourquoi. Leurs motivations sont nombreuses et variées : pour faire plaisir à un membre de la famille, déjà adepte ; pour conclure un contrat ; pour plaire à un supérieur hiérarchique ; pour draguer ; par curiosité…
D’autres encore ricanent. Eux sont là pour conforter leur cynisme.
Ils ne comptent pas.
Ceux qui l’intéressent ne sont pas nombreux, trois ou quatre. Ils sont accrochés à ses paroles. Ils entendent ce qu’ils ont envie d’entendre. C’est pour eux qu’il parle.
Ils seront sauvés et garderont leur précieuse petite âme, cet ego si nécessaire à ses plans, décidés à le suivre en toute conscience.
Oui, eux comptent.
Ils rejoindront la meute et deviendront des chiens bergers chargés de veiller sur son troupeau.
Les autres ? Ceux qui s’ennuient et ceux qui ricanent ? Ils rejoindront le troupeau.
Il n’existe aucune autre alternative. Ils l’ignorent, mais le simple fait d’être ici scelle leur destin.
Je suis le berger, songe-t-il. C’est ma raison d’être, ma nature.
Quelques applaudissements incongrus saluent la fin de son petit discours. Il hoche la tête tout en survolant une fois de plus l’auditoire d’un regard pénétrant.
Celui d’un berger.
Il jauge chacun d’eux en quelques secondes. Il les trie.
Michaël n’est pas son vrai prénom, pas plus que Berger n’est son nom de famille. C’est un clin d’œil, une indication sur sa nature. Les initiés et ses congénères le connaissent en tant que Kaël. Il est un prince sorcier, un ancien gardien, un de ceux que l’humanité s’est empressée d’oublier, travestissant ses souvenirs en légendes et contes.
Son réel aspect, il le dissimule aussi soigneusement que son identité.
Comme tous les siens.
Il les fixe l’un après l’autre, et chaque récalcitrant a la sensation angoissante qu’on lui arrache une partie de sa conscience et qu’elle s’envole vers l’estrade, vers l’homme qui s’y tient.
Ce qu’il leur arrache est l’élément le plus intime, le plus secret, celui dont ils n’osent parler à personne, celui dont ils osent à peine s’avouer l’existence.
Kaël les captive subitement. Ils ne peuvent le quitter du regard. Ils le craignent aussi.
Certains gémissent. Une femme sanglote. Les souvenirs remontent à la surface. Des souvenirs qui ne leur appartiennent pas, ceux de lointains ancêtres, en provenance d’un passé oublié.
Leur vie, jusque là, était à peu près normale, presque paisible. Mais ils se rappellent et la peur surgit. Celle que ressent le membre d’un troupeau face à son gardien.
Chacun a saisi l’essentiel.
Quoi que puisse leur demander Kaël, ils obéiront. Le prince sorcier a capté leurs âmes. Ils sont perdus, mais ils sont aussi gagnés. Il vient de donner un sens à leur vie : lui obéir aveuglément. Ça les rendra heureux. Ils n’auront plus à réfléchir, plus de choix à faire. Pour chaque moment de leur vie, ils consulteront le mode d’emploi qu’il vient de leur livrer en remplacement de ce qu’il leur a pris : l’âme, la conscience d’être, le libre arbitre.
Pour les siens, ce n’est qu’un parasite qui infecte leurs troupeaux. En le retirant, il leur restitue leur innocence originelle… Enfin, presque. Ils ne sont plus pareils aux éphémères d’antan. Ce sont des zombies.
Si ce n’était pas le cas, le problème serait réglé depuis longtemps.
Etre ou avoir ?
En ce qui les concerne, la question ne se pose plus. Il les a, et ils ne sont plus.
Ils n’auront plus à se réfugier dans un passé illusoire, ni à se projeter dans un avenir improbable. Désormais, ils vivront dans un présent éternel, et ils seront heureux.
Le marché est équitable.
Kaël ne leur a pas demandé leur avis et, pourtant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, il est librement consenti.
Ainsi sont les hommes. Tous les princes le savent. Tous les sorciers le savent. Or, Kaël est un prince sorcier. Il sait donc mieux que quiconque ce que les hommes désirent : retrouver leur nature et vivre en conformité avec cette nature retrouvée.
Ainsi est le troupeau. Il veut être guidé, sans avoir à se soucier du chemin à suivre.
Le pacte est signé.
C’est un marché de dupes. Les dupes le savent. C’est ce qui fait son charme, et aussi sa valeur.
Il est inscrit profondément dans les gênes de chacun des signataires.