Etats d\'Ames
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Disclaimer:
Les personnages de Yami no Matsuei appartiennent à Yoko Matsushita, pas à moi, hélas. Je ne fais que jouer avec eux, ce qui ne me rapporte évidemment pas le moindre centime.
Peur et réconfort
CHAPITRE 3 : Peur et réconfort
Apres avoir pris congé de l'inspecteur Nakamura, les deux shinigami se mirent en quête d'un endroit où passer la nuit. De préférence un endroit bon marché, s'il ne voulaient pas encourir les foudres de Tatsumi. Il jetèrent leur dévolu sur un petit hôtel situé à mi-distance entre le commissariat où travaillait Nakamura et le parc où les trois victimes avait été retrouvées.
— Une chambre pour deux personnes ? Mais bien sûr, Monsieur. Souhaitez-vous une chambre double, ou un lit King Size ? demanda la réceptionniste sans se départir de son sourire poli, mais en évitant soigneusement de croiser le regard des deux hommes.
Hisoka manqua de s'étrangler. "Une chambre double, bien sûr !" explosa-t-il, le visage écarlate.
Tsuzuki, étrangement silencieux, observait avec attention la peinture qui s'écaillait sur les murs de la réception.
— Très bien. Ce sera 6500 yen. Payable d'avance, s'il vous plaît. Votre chambre est la numéro 38, troisième étage, au fond du couloir sur votre gauche.
A peine la réceptionniste leur eut-elle tendu la clef que Hisoka, toujours aussi rouge, se précipita vers l'escalier. Il ne remarqua pas le petit sourire mi-ironique, mi-peiné que lui lança son partenaire avant de lui emboîter le pas.
La chambre était petite mais propre, avec deux lits étroits munis de couvertures assorties en coton écru, un papier-peint rose au motif floral délavé, et une salle de bain minuscule, dans laquelle un bac de douche, un lavabo et un WC prenaient tout l'espace disponible. Dans un coin de la pièce, sur une petite commode couverte d'une fine nappe brodée, il aperçut une statuette d'Amida Bouddha. L'autel improvisé était aussi muni d'une coupelle, deux bougies et un pique-encens. Au mur, au dessus de l'un des lits, une aquarelle représentant un bouquet de sakura en fleurs était suspendue. Le tableau rappelait étrangement le Meifu. Hisoka fronça les sourcils et détourna le regard, furieux contre lui-même au petit pincement de cœur nostalgique qu'il venait de ressentir.
Tsuzuki se laissa tomber de tout son poids sur le lit le plus proche de la porte avec un râle d'épuisement et resta allongé, les yeux clos, les bras croisés derrière la nuque. Hisoka s'assit avec précaution sur l'autre lit. Il constata avec satisfaction que les lits étaient situés contre deux murs opposés de la pièce, séparés par un espace d'au moins trois ou quatre mètres, un espace suffisant pour lui permettre de se reposer dans un silence relatif. A cette distance en effet, les émotions de Tsuzuki ne lui parvenaient que sous la forme d'une sorte de vibration de basse fréquence, rien de clairement identifiable.
Hisoka ramena les jambes contre son torse, croisa les bras autour de ses genoux et contempla son compagnon. Ses sourcils étaient légèrement froncés mais sa respiration était calme et régulière. S'était-il endormi ? Hisoka se sentit vaguement flatté que Tsuzuki lui témoignât une telle confiance ; et aussi, qu'il n'éprouvât pas le besoin de conserver avec lui le masque jovial qu'il arborait en public. Hisoka réalisa que c'était la première fois qu'il se retrouvait seul en compagnie de son partenaire depuis... depuis Kyoto. Durant ces deux derniers mois, il avait été si occupé à éviter Tsuzuki et ses visions destructrices, si occupé à se reprocher d'ajouter aux tourments de son ami, le fuyant jour et nuit, pensant à lui jour et nuit, qu'il avait oublié le simple sentiment de sécurité et de contentement qu'il éprouvait, seul dans une chambre, isolé du reste du monde, en compagnie de la seule personne en qui il avait pleinement confiance. Quoique aujourd'hui, pour la première fois, à ce sentiment de contentement s'ajoutait un malaise diffus, une sorte de timidité étrange. Se pourrait-il que ce soit à cause de cette stupide réceptionniste et de son insinuation ridicule... un seul lit… Non ! Certainement pas ! Hisoka se refusa à poursuivre cette ligne de pensée mais ne put s'empêcher de sentir que ses oreilles semblaient soudain brûlantes.
Sur le lit d'en face, Tsuzuki s'agita et ouvrit les yeux. Il posa le regard sur le visage de son partenaire et sourit.
— Hé, Hisoka ! Est-ce que je me suis endormi ? Désolé !
Le shinigami se redressa, s'assit au bord du lit et bailla longuement. Puis il resta un moment à considérer sa paire de chaussettes dépareillée. Son sourire s'effaçait derrière la moue boudeuse qui prenait peu à peu possession de son visage. Hisoka connaissait suffisamment son partenaire pour deviner que ce qui préoccupait le shinigami à ce moment était plus l'état de son estomac que celui de sa garde-robe. Et en effet, Tsuzuki reprit :
— Je crois que la journée a été assez mouvementée comme ça. Que dirais-tu d'aller acheter des bentô et deux ou trois gâteaux, et de les manger tranquillement dans la chambre ?
Il leva vers son partenaire un œil plein d'espoir et un sourire éclaira de nouveau son visage. Hisoka pouvait presque voir deux petites oreilles velues pousser sous ses cheveux bruns.
Hisoka ne répondit pas mais regarda Tsuzuki dans les yeux. Il n'avait pas envie de parler. Il n'avait pas envie de bouger. Il n'avait pas envie de se rapprocher de Tsuzuki et de constater que, derrière la gentillesse et l'apparente décontraction du shinigami, le même sentiment de culpabilité écrasant, le même désir de mort brûlaient toujours. Il n'avait pas envie de s'éloigner de Tsuzuki et de quitter du regard ce sourire enchanteur qui causait un étrange serrement au creux de son estomac. Il avait envie de rester ainsi pour toujours, son regard d'émeraude plongé dans le regard d'améthyste de son partenaire. Mais il réalisa soudain dans un sursaut que la perspective de passer la soirée en tête-à-tête avec Tsuzuki lui causait désormais une angoisse presque insurmontable. Sentant monter la rougeur qui menaçait de s'emparer de ses joues une fois de plus, Hisoka détourna la tête et fronça les sourcils.
— C'est pas croyable ! Est-ce qu'il t'arrive de penser avec autre chose que ton estomac ? Je croyais que tu voulais aller voir l'endroit où les victimes ont été retrouvées !
— Pffff... Pourquoi es-tu toujours aussi sérieux ? se plaignit Tsuzuki avec un regard de chien battu.
Hisoka, se sentant soudain horriblement culpabilisé, était sur le point de céder à son ami. Aussi la réaction suivante de ce dernier le prit-elle par surprise :
— Enfin, tu as raison. Le plus vite nous réglerons cette affaire, le mieux ça vaudra. Allez, en route.
Tsuzuki se leva d'un bond et couvrit en quelques pas la distance qui le séparait de la porte, saisissant au passage le pardessus noir qu'il avait jeté sur le porte-manteau. Il remis ses chaussures d'un geste rapide et se tourna vers son partenaire, une main sur la poignée de la porte. Hisoka se mordit les lèvres, avec la nette impression de s'être piégé lui-même. Cependant, face au sourire interrogateur de Tsuzuki, il ne pouvait que s'exécuter. Il se leva avec un soupir.
***
Le parc n'était qu'à dix minutes de marche de l'hôtel. Cependant, quand il arrivèrent devant la haute grille de fer forgé qui marquait l'entrée, Hisoka se demanda si sa décision de continuer leur enquête le soir même n'avait pas été un peu précipitée. La nuit tombait déjà et un vent froid s'était levé, faisant frémir les petites feuilles en éventail des ginko-biloba. Des ombres noires s'allongeaient dans les allées désertes, silhouettes menaçantes qui se tordaient à chaque nouvelle rafale. Tsuzuki remonta le col de son pardessus et jeta un coup d'œil dubitatif à la fine veste de jeans que portait Hisoka. Il fit un pas vers lui, amorça un geste, et pour un instant Hisoka eut l'impression qu'il était sur le point de lui passer un bras autour des épaules et de l'attirer dans la chaleur confortable de son manteau. Mais Tsuzuki sembla se raviser, fourra la main dans sa poche et franchit la grille. Hisoka, ne sachant pas s'il devait se réjouir ou se lamenter, emboîta le pas à son compagnon qui s'éloignait déjà dans l'allée sombre.
Après avoir marché pendant vingt minutes dans le parc désert, Hisoka se rendit pleinement compte de la futilité de leur entreprise. Les victimes avaient été retrouvées quatre ou cinq jours auparavant. Tout indice potentiel avait probablement disparu, desséché par le soleil, emporté par le vent, effacé sous les pas des passants. Et de toutes façons, même si un indice était encore visible, ils seraient incapables de le voir dans l'obscurité qui noyait désormais le parc. Hisoka soupira et se tourna vers son partenaire.
— Un bentô, tu disais ? Moi je préférerais un grand bol de sukiyaki fumant, dans un petit restaurant sympa. Ça t'intéresse ?
Le sourire de Tsuzuki s'élargit jusqu'à atteindre ses oreilles.
Malheureusement, retrouver l'entrée du parc n'était pas aussi facile qu'ils le pensaient. Après avoir erré pendant quinze minutes de plus dans l'obscurité quasi-complète, Hisoka était totalement perdu, et apparemment Tsuzuki ne valait pas mieux. Leur meilleur espoir était de choisir une direction et de s'y tenir jusqu'à ce qu'ils arrivent quelque part, raisonna Hisoka. Ils étaient dans un parc urbain, après tout, pas en rase campagne !
Hisoka ne s'était jamais considéré peureux ("Agoraphobe peut-être, mais pas froussard !" pensa-t-il rageusement.) Cependant, l'obscurité et la solitude du parc commençaient à lui porter sur les nerfs. Il avait la sensation d'une menace diffuse planant sur leurs têtes. La sensation de tension inquiète qui émanait de Tsuzuki lui indiquait que le parc avait un effet similaire sur son partenaire. Hisoka jeta un coup d'œil par dessus son épaule. Tsuzuki avait réglé son pas sur celui du jeune shinigami et maintenait entre eux une distance constante d'à peu près deux mètres. Assez loin pour ne pas incommoder Hisoka avec ses émotions, assez près pour le rassurer par sa présence. Peut-être Tsuzuki était-il beaucoup plus perceptif qu'il ne le laissait paraître, pensa Hisoka.
Les deux hommes atteignirent un croisement de chemins et Hisoka s'arrêta. Il s'était promis d'avancer toujours tout droit, mais le chemin qui s'étendait devant eux était d'un noir d'encre. Hisoka haussa un sourcil interrogateur en direction de son partenaire ; ce dernier répondit d'un haussement d'épaules. "Après tout, se dit Hisoka en s'engageant dans l'allée de droite, nous n'aurons qu'à tourner à gauche au prochain croisement pour être de nouveau dans la bonne direction."
Il n'avaient pas fait dix pas dans la nouvelle allée que Hisoka sentit un regard se poser dans son dos. Pas le regard bienveillant de Tsuzuki, mais un regard menaçant, maléfique. Hisoka se retourna d'un bond. Un peu plus haut dans l'allée, au-delà du croisement qu'ils venaient de quitter, il lui sembla apercevoir une ombre noire mais elle avait disparu un instant plus tard. À côté de lui, Tsuzuki se tenait prêt à bondir, genoux légèrement fléchis, une main glissée dans la poche intérieure de son pardessus, le papier d'un Fuda déjà serré entre deux doigts. Durant une minute les deux hommes restèrent immobiles, tous leurs sens aux aguets.
— Tu as senti ça ? murmura enfin Hisoka.
— Oui, répondit Tsuzuki sur le même ton. Mais c'est parti. Je ne sais pas ce que c'était... mais ce n'est plus là.
— Bon, inutile de traîner ici.
Hisoka reprit sa route d'un pas rapide dans l'allée sombre, l'oreille aux aguets. Les seuls bruits qu'il percevait étaient le sifflement du vent dans les arbres et les pas rapides de Tsuzuki derrière lui. Soudain, quelque chose de froid et gluant se colla à son visage. Hisoka poussa un hurlement et s'arrêta net. Tsuzuki, qui venait derrière, le percuta brutalement avec un juron étouffé. Une vague de peur submergea le jeune empathe. Hisoka fit un bond en arrière.
— Hé, qu'est-ce qui t'arrive ? Ça va ? murmura Tsuzuki d'une voix pressante.
— Ça va, ça va. Ce n'est rien. Désolé, répondit Hisoka en se frottant les joues pour déloger les filaments de la toile d'araignée dans laquelle il avait foncé tête baissée.
— Ne me fais pas des coups pareils, grogna Tsuzuki.
"Tsuzuki a peut-être l'air calme, mais en fait il a vraiment la trouille lui aussi" pensa le jeune empathe et, égoïstement, cette pensée le rassura un peu.
Les deux hommes se remirent en route, marchant maintenant si vite qu'il couraient presque. Le vent avait redoublé de puissance et Hisoka était transi de froid malgré la sueur qui coulait sur son front et dans son dos. Soudain, il sentit la même présence maléfique qui les avait effrayés quelques minutes plus tôt. Mais cette-fois, la menace semblait encore plus proche. Elle semblait être... au dessus d'eux ! !
Hisoka leva la tête juste à temps pour voir une silhouette noire, grimaçante et déformée fondre sur lui avec un cri haut perché. Du coin de l'œil, il entrevit le halo de flammes écarlates qui entouraient Tsuzuki alors que ce dernier entonnait l'invocation de Suzaku. Mais il était trop tard, l'esprit était sur lui. Hisoka eut l'impression d'avoir plongé la tête la première dans l'eau glacée. Une seconde plus tard, une douleur aiguë lui coupait le souffle, naissant dans sa poitrine et irradiant dans tout son corps. Hisoka eut encore le temps de voir les familières, sinistres marques rouges apparaître sur ses poignets et sur le dos de ses mains avant de perdre connaissance.
***
Lorsqu'il revint à lui, Hisoka nota tout d'abord la confortable sensation de chaleur qui enveloppait son corps. Il entrouvrit les paupières et vit deux grand yeux violets à une quinzaine de centimètres de son visage. Tsuzuki le regardait en souriant, tout en caressant doucement sa joue. "Bienvenue, " murmura-t-il lorsque son partenaire ouvrit les yeux.
Il y avait quelque chose d'étrange dans cette situation mais l'esprit d'Hisoka se refusait encore à toute pensée cohérente. Le jeune homme referma les paupières et, pendant quelques minutes, il s'abandonna à la douce sensation de la paume chaude qui caressait sa joue, des doigts légers qui se glissaient dans ses cheveux. Lorsqu'il se sentit en meilleure possession de ses capacités mentales, il ouvrit de nouveau les yeux pour observer ses alentours.
Il était dans leur chambre d'hôtel, allongé sur son lit... Non, dans son lit, la moitié inférieure de son corps glissée sous les couvertures. Tsuzuki était assis sur le bord du lit, penché au dessus de lui. Hisoka baissa les yeux vers sa poitrine. Il portait... une chemise mauve qu'il ne connaissait pas... Ah, si, il se rappelait, cette chemise appartenait à Tsuzuki. Sur le plancher, au milieu de la pièce, gisait son T-shirt vert trempé de sueur. A coté du T-shirt, il aperçut son jeans et sursauta. Il se sentait encore trop faible pour bouger mais put néanmoins frotter expérimentalement ses jambes l'une contre. Pas de pantalon. Donc Tsuzuki, avant de le mettre au lit, l'avait déshabillé...
Hisoka rougit et ferma les paupières de toutes ses forces, essayant de chasser les images que cette dernière pensée faisait naître en lui. La main de Tsuzuki s'immobilisa. L'aîné des shinigami se pencha un peu plus vers le visage de son partenaire et murmura "Qu'est-ce qu'il y a, Hisoka ?" d'une voix douce et grave, un peu rauque, qu'Hisoka ne lui avait encore jamais entendue mais qui fit courir un frisson le long de sa colonne vertébrale. Les yeux d'améthyste qui le transperçaient semblaient plus sombre que de coutume sous les paupières alourdies. Hisoka avala sa salive avec peine, ferma les yeux et secoua la tête. Les choses étaient encore confuses... Pourquoi était-il au lit, d'abord ? Que s'était-il passé ? Brutalement, ses souvenirs lui revinrent. La marche dans le parc, la peur, le spectre qui s'était jeté sur lui... la douleur, et puis plus rien... Dans un sursaut, Hisoka ouvrit grand les yeux.
— Tsuzuki, s'écria-t-il, qu'est-ce qui s'est passé ? Comment est-ce que je suis revenu ici ? Et l'esprit qui m'a attaqué ?
Avec un soupir, Tsuzuki se redressa et ramena ses deux mains sur ses genoux. Il ferma les yeux et pris une longue inspiration avant de répondre. Quand il repris la parole, sa voix avait retrouvé son timbre habituel.
— Lorsque l'esprit t'a attaqué, j'ai lancé Suzaku contre lui. Pas assez vite, malheureusement, et tu étais déjà inconscient, ajouta-t-il amèrement. Suzaku ne l'a pas détruit, mais elle l'a retenu assez longtemps pour me donner le temps de te charger sur mes épaules. Après ça, j'ai couru droit devant, jusqu'à ce que je retrouve la grille du parc. Je t'ai porté jusqu'à l'hôtel...
Un sourd grondement provenant de l'estomac de Tsuzuki interrompit son discours.
— ... et je n'ai même pas eu le temps d'acheter le moindre petit bentô, termina le shinigami d'un ton lamentable.
Hisoka éclata de rire.
— Je crois que, ce coup-ci, je te dois bien un festin. Sur mes propres économies, pas sur l'argent que nous donne Tatsumi, ajouta-t-il, et il s'esclaffa de plus belle en voyant l'expression de joie incrédule qui se peignait sur le visage de son partenaire.
Puis il se rappela brutalement de quelque chose et baissa les yeux vers ses mains. Les marques du maléfice de Muraki étaient atténuées mais encore bien visibles. Le rire d'Hisoka se coupa court.
— Tsuzuki... Ces marques.... C'est la dernière chose que j'ai vue avant de perdre connaissance. Est-ce qu'elle me couvraient tout le corps ?
— Oui, dit Tsuzuki en détournant le regard.
Etait-ce une rougeur d'embarras qui venait brutalement de colorer ses joues ? Hisoka n'eut pas le temps de s'appesantir sur la question. Une vague de terreur glaciale l'enveloppa. Le pressentiment qu'il avait depuis le début de cette affaire, depuis qu'il avait vu les photos de ces corps torturés et violentés, lui revint en force.
— Est-ce que tu crois... qu'il est ici ? Qu'il est mêlé à toute cette affaire ?
Tsuzuki se pencha de nouveau, passa un bras sous le cou d'Hisoka et l'attira contre sa poitrine. Il le maintint fermement contre lui d'une main et se remit à lui caresser les cheveux de l'autre, tout en murmurant à son oreille.
— Shh, Hisoka, ne t'en fais pas... Nous n'avons aucune raison de penser que ce soit le cas...
— Mais, les marques ?
— Ce n'est pas la première fois qu'elles apparaissent toutes seules. Ca t'est arrivé aussi lorsque nous étions dans le Meifu, et à ce moment-là Muraki n'était certainement pas dans les environs. Et puis, tu as entendu Nakamura : les cheveux qu'ils ont retrouvé étaient noirs...
Hisoka leva un regard surpris vers son partenaire. Donc, le sens de sa question, dans le bureau de l'inspecteur, n'avait pas échappé à l'aîné des shinigami. Combien d'autres choses Tsuzuki comprenait-il sans jamais rien dire ?
Un peu rassuré, Hisoka s'abandonna à l'étreinte de son ami. Il n'avait plus envie de lutter, plus envie d'avoir peur, il voulait seulement rester là, enveloppé par l'odeur familière de Tsuzuki, dans la chaleur protectrice de ses bras, bercé par les battements réguliers de son cœur. Et tout-à-coup, Hisoka réalisa ce qui lui avait paru bizarre depuis qu'il avait repris conscience : Tsuzuki l'avait touché presque constamment, et... rien. Pas de souvenirs, pas de douleur, pas de dépression. Rien du tout.
Pour un instant, Hisoka eut la pensée folle que son empathie avait disparu, que peut-être, lorsque le spectre l'avait attaqué... Mais non, c'était impossible.
Et soudain la réponse lui apparue, limpide, dans une vague de joie qui lui inonda le cœur. Pour s'en assurer, il se concentra sur ses perceptions. Alors que Tsuzuki lui caressait toujours doucement les cheveux, un sentiment chaud et tendre l'envahissait, un sentiment si proche de ce qu'il éprouvait lui-même qu'il avait pu facilement le confondre avec ses propres émotions. Et la seule image qu'il percevait... n'en était pas vraiment une. Il se voyait tout simplement comme il était en ce moment, assis sur son lit, dans les bras de Tsuzuki. Oui, c'était bien ça... si aucune émotion parasite n'était venu le troubler, c'était parce que, quand il le serrait dans ses bras, Tsuzuki ne pensait qu'à lui.
Envahi de joie, Hisoka referma ses deux bras autour de la taille de son partenaire et enfouit son visage contre sa poitrine. Tsuzuki eut une exclamation étouffée et s'immobilisa pour un instant, avant de lui aussi resserrer son étreinte. Ils restèrent ainsi quelques minutes de plus, étroitement enlacés. Hisoka remarqua que les battements du cœur de Tsuzuki s'accéléraient, que sa respiration se faisait plus rapide.
Soudain, l'image mentale changea. Il se voyait toujours en compagnie de Tsuzuki, mais cette fois ils étaient allongés sur le lit, entièrement dévêtus. Leurs corps nus, trempés de sueur, glissaient l'un contre l'autre, s'enlaçaient, s'étreignaient fiévreusement. Tsuzuki, allongé de tout son long sur Hisoka, haletant, embrassait ses lèvres, ses joues, ses paupières, faisait glisser sa bouche le long du cou du jeune shinigami... ses mains se refermaient sur les hanches de son partenaire... et Hisoka, avec un cri étouffé qui était presque un sanglot, arquait le dos, le visage crispé dans une expression d'extase.
Avec un cri de surprise, Hisoka se redressa et repoussa brutalement Tsuzuki, qui glissa du lit et atterrit sans cérémonie sur le parquet dur.
— Hisoka ? Que se passe-t-il ? demanda le shinigami aux yeux violets, stupéfait, le souffle court.
Hisoka, les joues rouges, les mains tremblantes, regardait son partenaire avec des yeux écarquillés. Les mots semblaient refuser de franchir ses lèvres.
Cependant, respirant profondément, Tsuzuki retrouvait peu à peu son calme. "Qu'est-ce qu'il y a ?" demanda-t-il encore une fois, d'une voix plus douce.
— Juste là... à l'instant... tu as pensé à... quelque chose de bizarre, non ?
Tsuzuki regarda son partenaire pendant quelques secondes avec effarement. Puis une expression de compréhension atterrée descendit sur son visage.
Oh... non. Comment, mais comment avait-il pu oublier que le jeune homme était un empathe ? Qu'il percevait les émotions des autres ? Non, encore pire, qu'il lisait dans les pensées en cas de contact physique ?
"Imbécile. Triple idiot. Comment as-tu pu oublier une chose pareille ? Et en plus, juste parce que le gamin a besoin d'un peu de réconfort, toi, espèce d'animal, tu deviens tout excité et tu te mets à imaginer..."
Tsuzuki s'agenouilla aux pieds d'Hisoka, honteux, la tête baissée.
— Je suis désolé, Hisoka... vraiment, vraiment désolé... je ne voulais pas... je ne sais pas ce qui m'a pris. Pardonne-moi, Hisoka, je te jure que jamais plus... que jamais plus...
Le cœur d'Hisoka se serra. Ce n'était pas ce qu'il voulait. Tsuzuki semblait au bord des larmes.
— Tsuzuki, arrête. J'ai été surpris, c'est tout. Cesse de t'excuser.
— Pardonne-moi, pardonne-moi, répétait Tsuzuki qui ne l'avait pas entendu.
Et soudain, ce qu'il voulait apparu à Hisoka, clair, limpide. Il glissa une main sous le menton de Tsuzuki et releva son visage, croisant son regard. Surpris, l'aîné des shinigami cessa sa litanie d'excuses.
Puis Hisoka saisit délicatement Tsuzuki par les épaules, le releva, et le rassit sur le lit. Tsuzuki se laissa guider comme un enfant.
Enfin, Hisoka se rassit aux côtés de Tsuzuki et, lentement, il inclina son visage vers celui de son aîné, joignant leurs lèvres. Les yeux de Tsuzuki s'écarquillèrent, puis se refermèrent lentement. Tsuzuki entrouvrit ses lèvres, retournant le baiser de Hisoka. Les pointes de leurs langues se touchèrent, glissèrent l'une contre l'autre timidement. Avec un gémissement étouffé, Tsuzuki inclina un peu plus le visage, ouvrit la bouche et embrassa Hisoka plus profondément, glissant sa langue dans la bouche du jeune homme. Hisoka répondit avec enthousiasme. Apres quelques minutes les deux hommes s'interrompirent pour reprendre leur souffle, se regardèrent dans les yeux, et recommencèrent à s'embrasser de plus belle. Sans rompre leur baiser, Tsuzuki glissa ses bras autour des épaules de Hisoka et l'attira contre lui. Sans hésitation cette fois, Hisoka enlaça son partenaire.
Aucun des deux n'aurait pu dire combien de temps ils restèrent ainsi, s'embrassant avec fougue, se séparant en haletant pour joindre à nouveau leurs bouches. Les mains de Tsuzuki caressaient les épaules, le dos, les flancs de son jeune amant dans une valse enfiévrée, descendant chaque fois un peu plus bas, s'attardant au bas des reins, frôlant les fesses, et remontant à nouveau lorsque le jeune homme se raidissait de surprise. Hisoka, les yeux mi-clos noyés de plaisir, gémissait doucement.
Tsuzuki pivota légèrement sur le coté et glissa une main entre leurs deux corps. Sans cesser de l'embrasser, il caressa le torse du jeune homme, ses doigts s'attardant sur les tétons qui pointaient à travers le tissu léger de la chemise, puis glissant sur son ventre, plus bas, toujours plus bas, jusqu'à finalement se refermer sur son entrejambe.
Hisoka poussa un cri et s'immobilisa. Le rouge de la honte empourpra ses joues. Leur fougueux baisers avaient eu sur lui un certain effet, et maintenant il avait... il était... qu'allait dire Tsuzuki ?
Mais le cri de surprise qu'il attendait ne se produisit pas. Au contraire, Tsuzuki se rapprocha encore un peu de lui et murmura "Hisoka ..." d'une voix noyée de désir, puis il commença à le caresser doucement, tendrement, à travers l'étoffe tendue de son sous-vêtement. Une étincelle de plaisir enflamma tous les sens de Hisoka. Incapable de pensées cohérentes, il s'agrippa aux épaules de son partenaire, tandis que ses hanches se mettaient à onduler d'elles-mêmes au rythme de la caresse de Tsuzuki.
C'est alors qu'une pensée troublante traversa l'esprit de Hisoka. Le mouvement de va-et-vient qui animait ses reins lui en rappela un autre, douloureux, non désiré... Une soudaine angoisse lui noua la gorge. Hisoka essaya de chasser la pensée importune, mais plus il essayait, plus elle le poursuivait. Bientôt, des flash se succédaient dans sa mémoire : la lune écarlate, le couteau pénétrant dans la chair, le sang éclaboussant la peau blanche, les mains froides le saisissant, arrachant ses vêtements, l'éclat dément de deux yeux dépareillés, le rire cruel... et la douleur, horrible, déchirante... la terreur de se sentir impuissant, utilisé...
Haletant non plus de désir mais d'angoisse, Hisoka s'immobilisa. Il saisit le poignet de Tsuzuki et, lentement mais fermement, éloigna de son corps la main de son compagnon. Tsuzuki, surpris une fois de plus, se figea. Dans son regard, l'appréhension se mêlait à une interrogation muette.
Hisoka secoua la tête. Il ne voulait pas blesser Tsuzuki une seconde fois. Les mots n'étaient pas son fort, mais il lui devait une explication. Il prit une longue inspiration et commença d'une voix mal assurée :
— Je suis désolé, Tsuzuki. Je ne crois pas que je peux... pas encore... Après ce qui s'est passé, tu sais... Quand j'avais treize ans...
C'était tout ce qu'il pouvait se forcer a dire, mais c'était suffisant. Tsuzuki lui sourit, les yeux plein de tendresse attristée. "Je comprends", murmura l'aîné des shinigami. Doucement, tendrement, Tsuzuki le guida dans une position allongée, face au mur, dos à lui, et se glissa dans le lit derrière lui. Puis il referma les bras autour des épaules de son jeune compagnon et l'attira contre sa poitrine. Hisoka se détendit dans la confortable chaleur de l'étreinte.
— Shhh... Dors, maintenant... Ne pense plus à rien, dors... Je suis là... Je suis avec toi, murmura Tsuzuki.
Hisoka frémit en sentant le souffle chaud de l'autre shinigami caresser son cou. Il remarqua que Tsuzuki, qui s'était pressé étroitement contre son dos, avait pris soin de reculer ses hanches pour qu'elles n'entrent pas en contact avec le corps de son compagnon, et ressentit un sursaut de remords. Il devinait que, en ce moment même, l'homme devait lutter pour rappeler son corps à l'ordre, et il se sentit désolé de lui imposer cette épreuve.
Cette pensée en appela une autre. Quelles que soient les pensées et les émotions de Tsuzuki à ce moment, il ne les percevait plus. Il sursauta, et Tsuzuki, sentant sa tension, lui caressa doucement les cheveux, renouvelant ses murmures rassurants.
Comment était-ce ce possible ? Est-ce que par hasard Tsuzuki... Est-ce qu'il pouvait... bloquer ses pensées, ses émotions ? Personne, jamais, pas même Konoe ou Tatsumi, n'avait réussi une telle chose. Mais d'un autre côté... Parce qu'il était parfois tête-en-l'air et infantile, parce qu'il ne semblait jamais rien prendre au sérieux, et parce qu'il se refusait à entrer dans les jeux de pouvoir et d'ambition qui caractérisaient les rapports au sein de l'Enma-Cho, les autres shinigami avaient tendance à oublier à quel point Tsuzuki était puissant. Après tout, il y avait une raison pour laquelle il était le seul qui aie jamais réussi à placer douze shikigami à son service. Et ce n'était pas seulement parce que lui seul avait eu l'intelligence de gagner leur amitié au lieu de tenter de les dominer par la force. C'était aussi parce que Tsuzuki, si distrait normalement, était capable, lorsque les circonstances l'imposaient, d'une concentration sans faille. Qu'il était capable de tendre toutes ses facultés mentales dans une seule direction.
Hisoka soupira et tenta d'analyser les émotions contradictoires que cette découverte faisait naître en lui. D'un côté, maintenant que Tsuzuki avait pris conscience du problème, il était probable qu'Hisoka pourrait désormais l'approcher sans avoir à subir l'assaut des souvenirs qui le tourmentaient, et c'était un grand soulagement. Mais d'un autre côté, ce n'est pas parce qu'il ne les percevrait plus que ses émotions auraient disparu. Et, en revoyant les horreurs qui peuplaient l'esprit de son partenaire, Hisoka frissonna. Il ne voulait pas que Tsuzuki souffre. Il ne voulait pas... Il repensa au désir de mort poignant qui avait inondé l'esprit de Tsuzuki, encore et encore, et sa gorge se serra... Il ne voulait pas le perdre.
Un changement dans sa respiration, dans la position de son corps, avait sans doute appris à Tsuzuki que les pensées d'Hisoka s'étaient égarées dans une direction peu agréable, car la main qui caressait ses cheveux s'immobilisa. Hisoka était sur le point de parler pour rassurer son ami, lorsqu'une image mentale s'imposa a lui. Dans son esprit, Tsuzuki, immobile, le regardait en souriant. Le choc arracha à Hisoka une exclamation étouffée. Est-ce que... est-ce que Tsuzuki projetait volontairement cette image ? L'idée lui donnait le vertige. Toute sa vie, son empathie avait été ce qui l'avait coupé des autres. A cause de cette faculté, sa famille l'avait rejeté sans pitié. Au sein de l'Enma-Cho, il avait été accepté... dans une certaine mesure. Mais personne n'aimait penser que l'adolescent apparemment inoffensif qui se tenait devant eux avait la faculté, à tout instant, de violer leur intimité mentale, et les gens avaient tendance à chasser cette pensée de leur esprit pour pouvoir établir une relation avec lui. Que quelqu'un puisse non pas simplement l'accepter malgré son empathie, mais utilise celle-ci pour communiquer avec lui sur un plan qu'il n'avait jamais atteint avec quiconque, qu'il n'avait même jamais pensé possible... L'émotion gonfla son cœur, et ses yeux s'emplirent de larmes.
C'est l'image mentale de Tsuzuki qui lui porta le coup de grâce. Lentement, en silence, l'image de Tsuzuki, qui le regardait toujours intensément avec un sourire plein de tendresse, articula trois mots qu'il put s'empêcher de lire sur ses lèvres :
Je t'aime.
Hisoka éclata en sanglots bruyants, les larmes ruisselant sur son visage, le corps agité de spasmes. Tsuzuki, derrière lui, le serrait toujours étroitement, comprenant que les pleurs de son amant étaient des pleurs de joie. Peu à peu les larmes de Hisoka se tarirent, et les deux hommes, toujours enlacés, glissèrent ensemble dans le sommeil.
Apres avoir pris congé de l'inspecteur Nakamura, les deux shinigami se mirent en quête d'un endroit où passer la nuit. De préférence un endroit bon marché, s'il ne voulaient pas encourir les foudres de Tatsumi. Il jetèrent leur dévolu sur un petit hôtel situé à mi-distance entre le commissariat où travaillait Nakamura et le parc où les trois victimes avait été retrouvées.
— Une chambre pour deux personnes ? Mais bien sûr, Monsieur. Souhaitez-vous une chambre double, ou un lit King Size ? demanda la réceptionniste sans se départir de son sourire poli, mais en évitant soigneusement de croiser le regard des deux hommes.
Hisoka manqua de s'étrangler. "Une chambre double, bien sûr !" explosa-t-il, le visage écarlate.
Tsuzuki, étrangement silencieux, observait avec attention la peinture qui s'écaillait sur les murs de la réception.
— Très bien. Ce sera 6500 yen. Payable d'avance, s'il vous plaît. Votre chambre est la numéro 38, troisième étage, au fond du couloir sur votre gauche.
A peine la réceptionniste leur eut-elle tendu la clef que Hisoka, toujours aussi rouge, se précipita vers l'escalier. Il ne remarqua pas le petit sourire mi-ironique, mi-peiné que lui lança son partenaire avant de lui emboîter le pas.
La chambre était petite mais propre, avec deux lits étroits munis de couvertures assorties en coton écru, un papier-peint rose au motif floral délavé, et une salle de bain minuscule, dans laquelle un bac de douche, un lavabo et un WC prenaient tout l'espace disponible. Dans un coin de la pièce, sur une petite commode couverte d'une fine nappe brodée, il aperçut une statuette d'Amida Bouddha. L'autel improvisé était aussi muni d'une coupelle, deux bougies et un pique-encens. Au mur, au dessus de l'un des lits, une aquarelle représentant un bouquet de sakura en fleurs était suspendue. Le tableau rappelait étrangement le Meifu. Hisoka fronça les sourcils et détourna le regard, furieux contre lui-même au petit pincement de cœur nostalgique qu'il venait de ressentir.
Tsuzuki se laissa tomber de tout son poids sur le lit le plus proche de la porte avec un râle d'épuisement et resta allongé, les yeux clos, les bras croisés derrière la nuque. Hisoka s'assit avec précaution sur l'autre lit. Il constata avec satisfaction que les lits étaient situés contre deux murs opposés de la pièce, séparés par un espace d'au moins trois ou quatre mètres, un espace suffisant pour lui permettre de se reposer dans un silence relatif. A cette distance en effet, les émotions de Tsuzuki ne lui parvenaient que sous la forme d'une sorte de vibration de basse fréquence, rien de clairement identifiable.
Hisoka ramena les jambes contre son torse, croisa les bras autour de ses genoux et contempla son compagnon. Ses sourcils étaient légèrement froncés mais sa respiration était calme et régulière. S'était-il endormi ? Hisoka se sentit vaguement flatté que Tsuzuki lui témoignât une telle confiance ; et aussi, qu'il n'éprouvât pas le besoin de conserver avec lui le masque jovial qu'il arborait en public. Hisoka réalisa que c'était la première fois qu'il se retrouvait seul en compagnie de son partenaire depuis... depuis Kyoto. Durant ces deux derniers mois, il avait été si occupé à éviter Tsuzuki et ses visions destructrices, si occupé à se reprocher d'ajouter aux tourments de son ami, le fuyant jour et nuit, pensant à lui jour et nuit, qu'il avait oublié le simple sentiment de sécurité et de contentement qu'il éprouvait, seul dans une chambre, isolé du reste du monde, en compagnie de la seule personne en qui il avait pleinement confiance. Quoique aujourd'hui, pour la première fois, à ce sentiment de contentement s'ajoutait un malaise diffus, une sorte de timidité étrange. Se pourrait-il que ce soit à cause de cette stupide réceptionniste et de son insinuation ridicule... un seul lit… Non ! Certainement pas ! Hisoka se refusa à poursuivre cette ligne de pensée mais ne put s'empêcher de sentir que ses oreilles semblaient soudain brûlantes.
Sur le lit d'en face, Tsuzuki s'agita et ouvrit les yeux. Il posa le regard sur le visage de son partenaire et sourit.
— Hé, Hisoka ! Est-ce que je me suis endormi ? Désolé !
Le shinigami se redressa, s'assit au bord du lit et bailla longuement. Puis il resta un moment à considérer sa paire de chaussettes dépareillée. Son sourire s'effaçait derrière la moue boudeuse qui prenait peu à peu possession de son visage. Hisoka connaissait suffisamment son partenaire pour deviner que ce qui préoccupait le shinigami à ce moment était plus l'état de son estomac que celui de sa garde-robe. Et en effet, Tsuzuki reprit :
— Je crois que la journée a été assez mouvementée comme ça. Que dirais-tu d'aller acheter des bentô et deux ou trois gâteaux, et de les manger tranquillement dans la chambre ?
Il leva vers son partenaire un œil plein d'espoir et un sourire éclaira de nouveau son visage. Hisoka pouvait presque voir deux petites oreilles velues pousser sous ses cheveux bruns.
Hisoka ne répondit pas mais regarda Tsuzuki dans les yeux. Il n'avait pas envie de parler. Il n'avait pas envie de bouger. Il n'avait pas envie de se rapprocher de Tsuzuki et de constater que, derrière la gentillesse et l'apparente décontraction du shinigami, le même sentiment de culpabilité écrasant, le même désir de mort brûlaient toujours. Il n'avait pas envie de s'éloigner de Tsuzuki et de quitter du regard ce sourire enchanteur qui causait un étrange serrement au creux de son estomac. Il avait envie de rester ainsi pour toujours, son regard d'émeraude plongé dans le regard d'améthyste de son partenaire. Mais il réalisa soudain dans un sursaut que la perspective de passer la soirée en tête-à-tête avec Tsuzuki lui causait désormais une angoisse presque insurmontable. Sentant monter la rougeur qui menaçait de s'emparer de ses joues une fois de plus, Hisoka détourna la tête et fronça les sourcils.
— C'est pas croyable ! Est-ce qu'il t'arrive de penser avec autre chose que ton estomac ? Je croyais que tu voulais aller voir l'endroit où les victimes ont été retrouvées !
— Pffff... Pourquoi es-tu toujours aussi sérieux ? se plaignit Tsuzuki avec un regard de chien battu.
Hisoka, se sentant soudain horriblement culpabilisé, était sur le point de céder à son ami. Aussi la réaction suivante de ce dernier le prit-elle par surprise :
— Enfin, tu as raison. Le plus vite nous réglerons cette affaire, le mieux ça vaudra. Allez, en route.
Tsuzuki se leva d'un bond et couvrit en quelques pas la distance qui le séparait de la porte, saisissant au passage le pardessus noir qu'il avait jeté sur le porte-manteau. Il remis ses chaussures d'un geste rapide et se tourna vers son partenaire, une main sur la poignée de la porte. Hisoka se mordit les lèvres, avec la nette impression de s'être piégé lui-même. Cependant, face au sourire interrogateur de Tsuzuki, il ne pouvait que s'exécuter. Il se leva avec un soupir.
***
Le parc n'était qu'à dix minutes de marche de l'hôtel. Cependant, quand il arrivèrent devant la haute grille de fer forgé qui marquait l'entrée, Hisoka se demanda si sa décision de continuer leur enquête le soir même n'avait pas été un peu précipitée. La nuit tombait déjà et un vent froid s'était levé, faisant frémir les petites feuilles en éventail des ginko-biloba. Des ombres noires s'allongeaient dans les allées désertes, silhouettes menaçantes qui se tordaient à chaque nouvelle rafale. Tsuzuki remonta le col de son pardessus et jeta un coup d'œil dubitatif à la fine veste de jeans que portait Hisoka. Il fit un pas vers lui, amorça un geste, et pour un instant Hisoka eut l'impression qu'il était sur le point de lui passer un bras autour des épaules et de l'attirer dans la chaleur confortable de son manteau. Mais Tsuzuki sembla se raviser, fourra la main dans sa poche et franchit la grille. Hisoka, ne sachant pas s'il devait se réjouir ou se lamenter, emboîta le pas à son compagnon qui s'éloignait déjà dans l'allée sombre.
Après avoir marché pendant vingt minutes dans le parc désert, Hisoka se rendit pleinement compte de la futilité de leur entreprise. Les victimes avaient été retrouvées quatre ou cinq jours auparavant. Tout indice potentiel avait probablement disparu, desséché par le soleil, emporté par le vent, effacé sous les pas des passants. Et de toutes façons, même si un indice était encore visible, ils seraient incapables de le voir dans l'obscurité qui noyait désormais le parc. Hisoka soupira et se tourna vers son partenaire.
— Un bentô, tu disais ? Moi je préférerais un grand bol de sukiyaki fumant, dans un petit restaurant sympa. Ça t'intéresse ?
Le sourire de Tsuzuki s'élargit jusqu'à atteindre ses oreilles.
Malheureusement, retrouver l'entrée du parc n'était pas aussi facile qu'ils le pensaient. Après avoir erré pendant quinze minutes de plus dans l'obscurité quasi-complète, Hisoka était totalement perdu, et apparemment Tsuzuki ne valait pas mieux. Leur meilleur espoir était de choisir une direction et de s'y tenir jusqu'à ce qu'ils arrivent quelque part, raisonna Hisoka. Ils étaient dans un parc urbain, après tout, pas en rase campagne !
Hisoka ne s'était jamais considéré peureux ("Agoraphobe peut-être, mais pas froussard !" pensa-t-il rageusement.) Cependant, l'obscurité et la solitude du parc commençaient à lui porter sur les nerfs. Il avait la sensation d'une menace diffuse planant sur leurs têtes. La sensation de tension inquiète qui émanait de Tsuzuki lui indiquait que le parc avait un effet similaire sur son partenaire. Hisoka jeta un coup d'œil par dessus son épaule. Tsuzuki avait réglé son pas sur celui du jeune shinigami et maintenait entre eux une distance constante d'à peu près deux mètres. Assez loin pour ne pas incommoder Hisoka avec ses émotions, assez près pour le rassurer par sa présence. Peut-être Tsuzuki était-il beaucoup plus perceptif qu'il ne le laissait paraître, pensa Hisoka.
Les deux hommes atteignirent un croisement de chemins et Hisoka s'arrêta. Il s'était promis d'avancer toujours tout droit, mais le chemin qui s'étendait devant eux était d'un noir d'encre. Hisoka haussa un sourcil interrogateur en direction de son partenaire ; ce dernier répondit d'un haussement d'épaules. "Après tout, se dit Hisoka en s'engageant dans l'allée de droite, nous n'aurons qu'à tourner à gauche au prochain croisement pour être de nouveau dans la bonne direction."
Il n'avaient pas fait dix pas dans la nouvelle allée que Hisoka sentit un regard se poser dans son dos. Pas le regard bienveillant de Tsuzuki, mais un regard menaçant, maléfique. Hisoka se retourna d'un bond. Un peu plus haut dans l'allée, au-delà du croisement qu'ils venaient de quitter, il lui sembla apercevoir une ombre noire mais elle avait disparu un instant plus tard. À côté de lui, Tsuzuki se tenait prêt à bondir, genoux légèrement fléchis, une main glissée dans la poche intérieure de son pardessus, le papier d'un Fuda déjà serré entre deux doigts. Durant une minute les deux hommes restèrent immobiles, tous leurs sens aux aguets.
— Tu as senti ça ? murmura enfin Hisoka.
— Oui, répondit Tsuzuki sur le même ton. Mais c'est parti. Je ne sais pas ce que c'était... mais ce n'est plus là.
— Bon, inutile de traîner ici.
Hisoka reprit sa route d'un pas rapide dans l'allée sombre, l'oreille aux aguets. Les seuls bruits qu'il percevait étaient le sifflement du vent dans les arbres et les pas rapides de Tsuzuki derrière lui. Soudain, quelque chose de froid et gluant se colla à son visage. Hisoka poussa un hurlement et s'arrêta net. Tsuzuki, qui venait derrière, le percuta brutalement avec un juron étouffé. Une vague de peur submergea le jeune empathe. Hisoka fit un bond en arrière.
— Hé, qu'est-ce qui t'arrive ? Ça va ? murmura Tsuzuki d'une voix pressante.
— Ça va, ça va. Ce n'est rien. Désolé, répondit Hisoka en se frottant les joues pour déloger les filaments de la toile d'araignée dans laquelle il avait foncé tête baissée.
— Ne me fais pas des coups pareils, grogna Tsuzuki.
"Tsuzuki a peut-être l'air calme, mais en fait il a vraiment la trouille lui aussi" pensa le jeune empathe et, égoïstement, cette pensée le rassura un peu.
Les deux hommes se remirent en route, marchant maintenant si vite qu'il couraient presque. Le vent avait redoublé de puissance et Hisoka était transi de froid malgré la sueur qui coulait sur son front et dans son dos. Soudain, il sentit la même présence maléfique qui les avait effrayés quelques minutes plus tôt. Mais cette-fois, la menace semblait encore plus proche. Elle semblait être... au dessus d'eux ! !
Hisoka leva la tête juste à temps pour voir une silhouette noire, grimaçante et déformée fondre sur lui avec un cri haut perché. Du coin de l'œil, il entrevit le halo de flammes écarlates qui entouraient Tsuzuki alors que ce dernier entonnait l'invocation de Suzaku. Mais il était trop tard, l'esprit était sur lui. Hisoka eut l'impression d'avoir plongé la tête la première dans l'eau glacée. Une seconde plus tard, une douleur aiguë lui coupait le souffle, naissant dans sa poitrine et irradiant dans tout son corps. Hisoka eut encore le temps de voir les familières, sinistres marques rouges apparaître sur ses poignets et sur le dos de ses mains avant de perdre connaissance.
***
Lorsqu'il revint à lui, Hisoka nota tout d'abord la confortable sensation de chaleur qui enveloppait son corps. Il entrouvrit les paupières et vit deux grand yeux violets à une quinzaine de centimètres de son visage. Tsuzuki le regardait en souriant, tout en caressant doucement sa joue. "Bienvenue, " murmura-t-il lorsque son partenaire ouvrit les yeux.
Il y avait quelque chose d'étrange dans cette situation mais l'esprit d'Hisoka se refusait encore à toute pensée cohérente. Le jeune homme referma les paupières et, pendant quelques minutes, il s'abandonna à la douce sensation de la paume chaude qui caressait sa joue, des doigts légers qui se glissaient dans ses cheveux. Lorsqu'il se sentit en meilleure possession de ses capacités mentales, il ouvrit de nouveau les yeux pour observer ses alentours.
Il était dans leur chambre d'hôtel, allongé sur son lit... Non, dans son lit, la moitié inférieure de son corps glissée sous les couvertures. Tsuzuki était assis sur le bord du lit, penché au dessus de lui. Hisoka baissa les yeux vers sa poitrine. Il portait... une chemise mauve qu'il ne connaissait pas... Ah, si, il se rappelait, cette chemise appartenait à Tsuzuki. Sur le plancher, au milieu de la pièce, gisait son T-shirt vert trempé de sueur. A coté du T-shirt, il aperçut son jeans et sursauta. Il se sentait encore trop faible pour bouger mais put néanmoins frotter expérimentalement ses jambes l'une contre. Pas de pantalon. Donc Tsuzuki, avant de le mettre au lit, l'avait déshabillé...
Hisoka rougit et ferma les paupières de toutes ses forces, essayant de chasser les images que cette dernière pensée faisait naître en lui. La main de Tsuzuki s'immobilisa. L'aîné des shinigami se pencha un peu plus vers le visage de son partenaire et murmura "Qu'est-ce qu'il y a, Hisoka ?" d'une voix douce et grave, un peu rauque, qu'Hisoka ne lui avait encore jamais entendue mais qui fit courir un frisson le long de sa colonne vertébrale. Les yeux d'améthyste qui le transperçaient semblaient plus sombre que de coutume sous les paupières alourdies. Hisoka avala sa salive avec peine, ferma les yeux et secoua la tête. Les choses étaient encore confuses... Pourquoi était-il au lit, d'abord ? Que s'était-il passé ? Brutalement, ses souvenirs lui revinrent. La marche dans le parc, la peur, le spectre qui s'était jeté sur lui... la douleur, et puis plus rien... Dans un sursaut, Hisoka ouvrit grand les yeux.
— Tsuzuki, s'écria-t-il, qu'est-ce qui s'est passé ? Comment est-ce que je suis revenu ici ? Et l'esprit qui m'a attaqué ?
Avec un soupir, Tsuzuki se redressa et ramena ses deux mains sur ses genoux. Il ferma les yeux et pris une longue inspiration avant de répondre. Quand il repris la parole, sa voix avait retrouvé son timbre habituel.
— Lorsque l'esprit t'a attaqué, j'ai lancé Suzaku contre lui. Pas assez vite, malheureusement, et tu étais déjà inconscient, ajouta-t-il amèrement. Suzaku ne l'a pas détruit, mais elle l'a retenu assez longtemps pour me donner le temps de te charger sur mes épaules. Après ça, j'ai couru droit devant, jusqu'à ce que je retrouve la grille du parc. Je t'ai porté jusqu'à l'hôtel...
Un sourd grondement provenant de l'estomac de Tsuzuki interrompit son discours.
— ... et je n'ai même pas eu le temps d'acheter le moindre petit bentô, termina le shinigami d'un ton lamentable.
Hisoka éclata de rire.
— Je crois que, ce coup-ci, je te dois bien un festin. Sur mes propres économies, pas sur l'argent que nous donne Tatsumi, ajouta-t-il, et il s'esclaffa de plus belle en voyant l'expression de joie incrédule qui se peignait sur le visage de son partenaire.
Puis il se rappela brutalement de quelque chose et baissa les yeux vers ses mains. Les marques du maléfice de Muraki étaient atténuées mais encore bien visibles. Le rire d'Hisoka se coupa court.
— Tsuzuki... Ces marques.... C'est la dernière chose que j'ai vue avant de perdre connaissance. Est-ce qu'elle me couvraient tout le corps ?
— Oui, dit Tsuzuki en détournant le regard.
Etait-ce une rougeur d'embarras qui venait brutalement de colorer ses joues ? Hisoka n'eut pas le temps de s'appesantir sur la question. Une vague de terreur glaciale l'enveloppa. Le pressentiment qu'il avait depuis le début de cette affaire, depuis qu'il avait vu les photos de ces corps torturés et violentés, lui revint en force.
— Est-ce que tu crois... qu'il est ici ? Qu'il est mêlé à toute cette affaire ?
Tsuzuki se pencha de nouveau, passa un bras sous le cou d'Hisoka et l'attira contre sa poitrine. Il le maintint fermement contre lui d'une main et se remit à lui caresser les cheveux de l'autre, tout en murmurant à son oreille.
— Shh, Hisoka, ne t'en fais pas... Nous n'avons aucune raison de penser que ce soit le cas...
— Mais, les marques ?
— Ce n'est pas la première fois qu'elles apparaissent toutes seules. Ca t'est arrivé aussi lorsque nous étions dans le Meifu, et à ce moment-là Muraki n'était certainement pas dans les environs. Et puis, tu as entendu Nakamura : les cheveux qu'ils ont retrouvé étaient noirs...
Hisoka leva un regard surpris vers son partenaire. Donc, le sens de sa question, dans le bureau de l'inspecteur, n'avait pas échappé à l'aîné des shinigami. Combien d'autres choses Tsuzuki comprenait-il sans jamais rien dire ?
Un peu rassuré, Hisoka s'abandonna à l'étreinte de son ami. Il n'avait plus envie de lutter, plus envie d'avoir peur, il voulait seulement rester là, enveloppé par l'odeur familière de Tsuzuki, dans la chaleur protectrice de ses bras, bercé par les battements réguliers de son cœur. Et tout-à-coup, Hisoka réalisa ce qui lui avait paru bizarre depuis qu'il avait repris conscience : Tsuzuki l'avait touché presque constamment, et... rien. Pas de souvenirs, pas de douleur, pas de dépression. Rien du tout.
Pour un instant, Hisoka eut la pensée folle que son empathie avait disparu, que peut-être, lorsque le spectre l'avait attaqué... Mais non, c'était impossible.
Et soudain la réponse lui apparue, limpide, dans une vague de joie qui lui inonda le cœur. Pour s'en assurer, il se concentra sur ses perceptions. Alors que Tsuzuki lui caressait toujours doucement les cheveux, un sentiment chaud et tendre l'envahissait, un sentiment si proche de ce qu'il éprouvait lui-même qu'il avait pu facilement le confondre avec ses propres émotions. Et la seule image qu'il percevait... n'en était pas vraiment une. Il se voyait tout simplement comme il était en ce moment, assis sur son lit, dans les bras de Tsuzuki. Oui, c'était bien ça... si aucune émotion parasite n'était venu le troubler, c'était parce que, quand il le serrait dans ses bras, Tsuzuki ne pensait qu'à lui.
Envahi de joie, Hisoka referma ses deux bras autour de la taille de son partenaire et enfouit son visage contre sa poitrine. Tsuzuki eut une exclamation étouffée et s'immobilisa pour un instant, avant de lui aussi resserrer son étreinte. Ils restèrent ainsi quelques minutes de plus, étroitement enlacés. Hisoka remarqua que les battements du cœur de Tsuzuki s'accéléraient, que sa respiration se faisait plus rapide.
Soudain, l'image mentale changea. Il se voyait toujours en compagnie de Tsuzuki, mais cette fois ils étaient allongés sur le lit, entièrement dévêtus. Leurs corps nus, trempés de sueur, glissaient l'un contre l'autre, s'enlaçaient, s'étreignaient fiévreusement. Tsuzuki, allongé de tout son long sur Hisoka, haletant, embrassait ses lèvres, ses joues, ses paupières, faisait glisser sa bouche le long du cou du jeune shinigami... ses mains se refermaient sur les hanches de son partenaire... et Hisoka, avec un cri étouffé qui était presque un sanglot, arquait le dos, le visage crispé dans une expression d'extase.
Avec un cri de surprise, Hisoka se redressa et repoussa brutalement Tsuzuki, qui glissa du lit et atterrit sans cérémonie sur le parquet dur.
— Hisoka ? Que se passe-t-il ? demanda le shinigami aux yeux violets, stupéfait, le souffle court.
Hisoka, les joues rouges, les mains tremblantes, regardait son partenaire avec des yeux écarquillés. Les mots semblaient refuser de franchir ses lèvres.
Cependant, respirant profondément, Tsuzuki retrouvait peu à peu son calme. "Qu'est-ce qu'il y a ?" demanda-t-il encore une fois, d'une voix plus douce.
— Juste là... à l'instant... tu as pensé à... quelque chose de bizarre, non ?
Tsuzuki regarda son partenaire pendant quelques secondes avec effarement. Puis une expression de compréhension atterrée descendit sur son visage.
Oh... non. Comment, mais comment avait-il pu oublier que le jeune homme était un empathe ? Qu'il percevait les émotions des autres ? Non, encore pire, qu'il lisait dans les pensées en cas de contact physique ?
"Imbécile. Triple idiot. Comment as-tu pu oublier une chose pareille ? Et en plus, juste parce que le gamin a besoin d'un peu de réconfort, toi, espèce d'animal, tu deviens tout excité et tu te mets à imaginer..."
Tsuzuki s'agenouilla aux pieds d'Hisoka, honteux, la tête baissée.
— Je suis désolé, Hisoka... vraiment, vraiment désolé... je ne voulais pas... je ne sais pas ce qui m'a pris. Pardonne-moi, Hisoka, je te jure que jamais plus... que jamais plus...
Le cœur d'Hisoka se serra. Ce n'était pas ce qu'il voulait. Tsuzuki semblait au bord des larmes.
— Tsuzuki, arrête. J'ai été surpris, c'est tout. Cesse de t'excuser.
— Pardonne-moi, pardonne-moi, répétait Tsuzuki qui ne l'avait pas entendu.
Et soudain, ce qu'il voulait apparu à Hisoka, clair, limpide. Il glissa une main sous le menton de Tsuzuki et releva son visage, croisant son regard. Surpris, l'aîné des shinigami cessa sa litanie d'excuses.
Puis Hisoka saisit délicatement Tsuzuki par les épaules, le releva, et le rassit sur le lit. Tsuzuki se laissa guider comme un enfant.
Enfin, Hisoka se rassit aux côtés de Tsuzuki et, lentement, il inclina son visage vers celui de son aîné, joignant leurs lèvres. Les yeux de Tsuzuki s'écarquillèrent, puis se refermèrent lentement. Tsuzuki entrouvrit ses lèvres, retournant le baiser de Hisoka. Les pointes de leurs langues se touchèrent, glissèrent l'une contre l'autre timidement. Avec un gémissement étouffé, Tsuzuki inclina un peu plus le visage, ouvrit la bouche et embrassa Hisoka plus profondément, glissant sa langue dans la bouche du jeune homme. Hisoka répondit avec enthousiasme. Apres quelques minutes les deux hommes s'interrompirent pour reprendre leur souffle, se regardèrent dans les yeux, et recommencèrent à s'embrasser de plus belle. Sans rompre leur baiser, Tsuzuki glissa ses bras autour des épaules de Hisoka et l'attira contre lui. Sans hésitation cette fois, Hisoka enlaça son partenaire.
Aucun des deux n'aurait pu dire combien de temps ils restèrent ainsi, s'embrassant avec fougue, se séparant en haletant pour joindre à nouveau leurs bouches. Les mains de Tsuzuki caressaient les épaules, le dos, les flancs de son jeune amant dans une valse enfiévrée, descendant chaque fois un peu plus bas, s'attardant au bas des reins, frôlant les fesses, et remontant à nouveau lorsque le jeune homme se raidissait de surprise. Hisoka, les yeux mi-clos noyés de plaisir, gémissait doucement.
Tsuzuki pivota légèrement sur le coté et glissa une main entre leurs deux corps. Sans cesser de l'embrasser, il caressa le torse du jeune homme, ses doigts s'attardant sur les tétons qui pointaient à travers le tissu léger de la chemise, puis glissant sur son ventre, plus bas, toujours plus bas, jusqu'à finalement se refermer sur son entrejambe.
Hisoka poussa un cri et s'immobilisa. Le rouge de la honte empourpra ses joues. Leur fougueux baisers avaient eu sur lui un certain effet, et maintenant il avait... il était... qu'allait dire Tsuzuki ?
Mais le cri de surprise qu'il attendait ne se produisit pas. Au contraire, Tsuzuki se rapprocha encore un peu de lui et murmura "Hisoka ..." d'une voix noyée de désir, puis il commença à le caresser doucement, tendrement, à travers l'étoffe tendue de son sous-vêtement. Une étincelle de plaisir enflamma tous les sens de Hisoka. Incapable de pensées cohérentes, il s'agrippa aux épaules de son partenaire, tandis que ses hanches se mettaient à onduler d'elles-mêmes au rythme de la caresse de Tsuzuki.
C'est alors qu'une pensée troublante traversa l'esprit de Hisoka. Le mouvement de va-et-vient qui animait ses reins lui en rappela un autre, douloureux, non désiré... Une soudaine angoisse lui noua la gorge. Hisoka essaya de chasser la pensée importune, mais plus il essayait, plus elle le poursuivait. Bientôt, des flash se succédaient dans sa mémoire : la lune écarlate, le couteau pénétrant dans la chair, le sang éclaboussant la peau blanche, les mains froides le saisissant, arrachant ses vêtements, l'éclat dément de deux yeux dépareillés, le rire cruel... et la douleur, horrible, déchirante... la terreur de se sentir impuissant, utilisé...
Haletant non plus de désir mais d'angoisse, Hisoka s'immobilisa. Il saisit le poignet de Tsuzuki et, lentement mais fermement, éloigna de son corps la main de son compagnon. Tsuzuki, surpris une fois de plus, se figea. Dans son regard, l'appréhension se mêlait à une interrogation muette.
Hisoka secoua la tête. Il ne voulait pas blesser Tsuzuki une seconde fois. Les mots n'étaient pas son fort, mais il lui devait une explication. Il prit une longue inspiration et commença d'une voix mal assurée :
— Je suis désolé, Tsuzuki. Je ne crois pas que je peux... pas encore... Après ce qui s'est passé, tu sais... Quand j'avais treize ans...
C'était tout ce qu'il pouvait se forcer a dire, mais c'était suffisant. Tsuzuki lui sourit, les yeux plein de tendresse attristée. "Je comprends", murmura l'aîné des shinigami. Doucement, tendrement, Tsuzuki le guida dans une position allongée, face au mur, dos à lui, et se glissa dans le lit derrière lui. Puis il referma les bras autour des épaules de son jeune compagnon et l'attira contre sa poitrine. Hisoka se détendit dans la confortable chaleur de l'étreinte.
— Shhh... Dors, maintenant... Ne pense plus à rien, dors... Je suis là... Je suis avec toi, murmura Tsuzuki.
Hisoka frémit en sentant le souffle chaud de l'autre shinigami caresser son cou. Il remarqua que Tsuzuki, qui s'était pressé étroitement contre son dos, avait pris soin de reculer ses hanches pour qu'elles n'entrent pas en contact avec le corps de son compagnon, et ressentit un sursaut de remords. Il devinait que, en ce moment même, l'homme devait lutter pour rappeler son corps à l'ordre, et il se sentit désolé de lui imposer cette épreuve.
Cette pensée en appela une autre. Quelles que soient les pensées et les émotions de Tsuzuki à ce moment, il ne les percevait plus. Il sursauta, et Tsuzuki, sentant sa tension, lui caressa doucement les cheveux, renouvelant ses murmures rassurants.
Comment était-ce ce possible ? Est-ce que par hasard Tsuzuki... Est-ce qu'il pouvait... bloquer ses pensées, ses émotions ? Personne, jamais, pas même Konoe ou Tatsumi, n'avait réussi une telle chose. Mais d'un autre côté... Parce qu'il était parfois tête-en-l'air et infantile, parce qu'il ne semblait jamais rien prendre au sérieux, et parce qu'il se refusait à entrer dans les jeux de pouvoir et d'ambition qui caractérisaient les rapports au sein de l'Enma-Cho, les autres shinigami avaient tendance à oublier à quel point Tsuzuki était puissant. Après tout, il y avait une raison pour laquelle il était le seul qui aie jamais réussi à placer douze shikigami à son service. Et ce n'était pas seulement parce que lui seul avait eu l'intelligence de gagner leur amitié au lieu de tenter de les dominer par la force. C'était aussi parce que Tsuzuki, si distrait normalement, était capable, lorsque les circonstances l'imposaient, d'une concentration sans faille. Qu'il était capable de tendre toutes ses facultés mentales dans une seule direction.
Hisoka soupira et tenta d'analyser les émotions contradictoires que cette découverte faisait naître en lui. D'un côté, maintenant que Tsuzuki avait pris conscience du problème, il était probable qu'Hisoka pourrait désormais l'approcher sans avoir à subir l'assaut des souvenirs qui le tourmentaient, et c'était un grand soulagement. Mais d'un autre côté, ce n'est pas parce qu'il ne les percevrait plus que ses émotions auraient disparu. Et, en revoyant les horreurs qui peuplaient l'esprit de son partenaire, Hisoka frissonna. Il ne voulait pas que Tsuzuki souffre. Il ne voulait pas... Il repensa au désir de mort poignant qui avait inondé l'esprit de Tsuzuki, encore et encore, et sa gorge se serra... Il ne voulait pas le perdre.
Un changement dans sa respiration, dans la position de son corps, avait sans doute appris à Tsuzuki que les pensées d'Hisoka s'étaient égarées dans une direction peu agréable, car la main qui caressait ses cheveux s'immobilisa. Hisoka était sur le point de parler pour rassurer son ami, lorsqu'une image mentale s'imposa a lui. Dans son esprit, Tsuzuki, immobile, le regardait en souriant. Le choc arracha à Hisoka une exclamation étouffée. Est-ce que... est-ce que Tsuzuki projetait volontairement cette image ? L'idée lui donnait le vertige. Toute sa vie, son empathie avait été ce qui l'avait coupé des autres. A cause de cette faculté, sa famille l'avait rejeté sans pitié. Au sein de l'Enma-Cho, il avait été accepté... dans une certaine mesure. Mais personne n'aimait penser que l'adolescent apparemment inoffensif qui se tenait devant eux avait la faculté, à tout instant, de violer leur intimité mentale, et les gens avaient tendance à chasser cette pensée de leur esprit pour pouvoir établir une relation avec lui. Que quelqu'un puisse non pas simplement l'accepter malgré son empathie, mais utilise celle-ci pour communiquer avec lui sur un plan qu'il n'avait jamais atteint avec quiconque, qu'il n'avait même jamais pensé possible... L'émotion gonfla son cœur, et ses yeux s'emplirent de larmes.
C'est l'image mentale de Tsuzuki qui lui porta le coup de grâce. Lentement, en silence, l'image de Tsuzuki, qui le regardait toujours intensément avec un sourire plein de tendresse, articula trois mots qu'il put s'empêcher de lire sur ses lèvres :
Je t'aime.
Hisoka éclata en sanglots bruyants, les larmes ruisselant sur son visage, le corps agité de spasmes. Tsuzuki, derrière lui, le serrait toujours étroitement, comprenant que les pleurs de son amant étaient des pleurs de joie. Peu à peu les larmes de Hisoka se tarirent, et les deux hommes, toujours enlacés, glissèrent ensemble dans le sommeil.