Etats d\'Ames
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Disclaimer:
Les personnages de Yami no Matsuei appartiennent à Yoko Matsushita, pas à moi, hélas. Je ne fais que jouer avec eux, ce qui ne me rapporte évidemment pas le moindre centime.
La souricière
CHAPITRE 4 : La souricière
Hisoka avait peur. Il avait mal. Son souffle s'échappait de sa poitrine en longs râles douloureux. L'immense dragon blanc avait enroulé son corps écailleux autour du torse du jeune homme et resserrait son étreinte, menaçant de lui briser les côtes. Sa gigantesque gueule aux crocs acérés se balançait à quelques dizaines de centimètres de son visage. Hisoka, envahi de panique, se démenait, tentant sans succès d'échapper à l'étreinte du monstre. Déjà, sa vision se brouillait. Il poussa un hurlement de terreur.
Réveillé par son propre cri, le jeune shinigami écarquilla les yeux et s'agita encore pendant quelques secondes, le souffle court, avant de réaliser que le dragon n'était qu'un cauchemar. Il poussa un soupir de soulagement, mais dans un coin de son esprit le monstre enserrait toujours une victime. Hisoka pris alors conscience de la présence de Tsuzuki à ses côtés, toujours pressé contre lui dans le lit trop étroit pour deux. Tsuzuki qui s'agitait et gémissait faiblement dans son sommeil, le front couvert de sueur. Hisoka toucha doucement l'épaule de son compagnon. Tsuzuki s'agita un peu plus, sans toutefois s'éveiller. Dans l'esprit de Hisoka, l'image du dragon se dissipa peu à peu. Tsuzuki s'immobilisa de nouveau, cessa de gémir, et son visage retrouva une expression sereine.
Hisoka soupira. Evidemment, quand il dormait, Tsuzuki ne pouvait plus contrôler ses pensées. Serré étroitement contre son partenaire, il était inévitable qu'il partage avec lui ses cauchemars. Hisoka se dégagea doucement du bras que Tsuzuki passait toujours autour de son torse et se leva. Le contraste entre la chaleur du corps de son compagnon et l'air frais de la chambre lui arracha un frisson. Il se dirigea néanmoins vers l'autre lit, se glissant sans plaisir entre les draps froids, et soupira une fois de plus, misérablement. Il ne s'était encore jamais senti aussi seul dans un lit.
Pendant de longues minutes il resta immobile, les yeux grand ouverts, contemplant le visage de son compagnon que baignait la lueur pâle de la lune. Il lui semblait que, s'il le quittait des yeux ne serait-ce qu'un instant, cette... chose qu'il y avait désormais entre eux, que son esprit peinait encore à appréhender mais que son cœur savait infiniment précieuse et infiniment fragile, se dissiperait à jamais. Il ne pouvait cesser de penser à l'image que Tsuzuki avait projeté dans son esprit, à l'aveu qu'il avait déchiffré sur ses lèvres, et son cœur s'accélérait de joie et de panique mêlées à l'idée que peut-être, un jour, il entendrait ce même aveu de la voix chaude et caressante d'un Tsuzuki bien réel.
***
Quand il se réveilla de nouveau il faisait déjà grand jour et le soleil entrait à flots dans la petite chambre. Hisoka se frotta les yeux et regarda autour de lui. A l'autre bout de la chambre, assis sur le second lit, le dos appuyé contre le mur, Tsuzuki le contemplait en silence, le visage grave. Pendant un instant, le jeune shinigami crut apercevoir, dans les yeux violets de son partenaire, une peine profonde, mais un instant après cette expression avait disparu, remplacée par le sourire jovial qui éclaira le visage de son aîné.
— Aaah, tu émerges enfin ! Est-ce que tu as une idée de l'heure qu'il est ? Presque dix heures, espèce de marmotte ! Dépêche-toi de te préparer, qu'on puisse aller acheter quelque chose à manger. Je meurs de faim, et je me refuse à continuer cette enquête tant que je n'ai pas quelque chose de solide dans l'estomac.
Hisoka, encore désorienté, acquiesça d'un hochement de tête et se dirigea vers la salle de bain sans un mot, et en évitant de croiser le regard de son partenaire. Ce matin, il éprouvait une gêne curieuse en présence de Tsuzuki, et l'attitude de franche camaraderie de ce dernier, paradoxalement, ne faisait rien pour le mettre à l'aise. A quoi s'était-il attendu ? Pas forcément à un baiser enflammé en guise de salut matinal… Mais pas non plus à ce que Tsuzuki agisse comme s'il ne s'était rien passé du tout entre eux. Le cœur serré d'appréhension, Hisoka procéda à une toilette rapide avant de rejoindre Tsuzuki.
Les deux hommes se mirent immédiatement en quête d'un petit restaurant, et bientôt tous deux étaient attablés devant un appétissant bol de riz, tandis que des plats chargés de poissons grillés et salade d'algues garnissaient la table. Avec un "itadakimasu ! " hâtif, Tsuzuki se jeta sur la nourriture. Hisoka, réalisant soudain qu'il avait, lui aussi, l'estomac dans les talons, l'imita avec à peine plus de retenue. Pas étonnant qu'ils aient si faim, ils avaient sauté le repas du soir ! Et, en repensant à ce qu'ils avaient fait exactement en guise de dîner, Hisoka sentit un fard monumental lui envahir le visage.
Tsuzuki, pendant ce temps, semblait parfaitement à l'aise et mastiquait de bon cœur. Il n'avait toujours fait aucune allusion aux événements de la veille, et plus le temps passait, moins Hisoka savait comment aborder le sujet. Comment Tsuzuki pouvait-il être aussi oublieux alors que lui, Hisoka, ne pouvait penser à rien d'autre ? Leurs baisers, leurs étreintes, ce désir intense qui les avait poussé l'un vers l'autre, cela n'avait-il rien signifié pour Tsuzuki ? Et cet aveu détourné, murmuré par une image qui n'avait existé que dans leur esprit... Est-ce que tout cela n'avait été qu'un jeu pour l'aîné des shinigami ? Hisoka sentit monter en lui une rancœur blessée. Il se sentait trompé, mais en même temps il se rendait compte que ce sentiment était totalement injuste car après tout, Tsuzuki ne lui avait jamais rien promis.
Hisoka tendit toute son attention vers l'homme qui lui faisait face, tentant de déchiffrer ses émotions, et se heurta à un mur. Depuis la veille, l'aîné des shinigami semblait avoir encore perfectionné son écran mental. Maudit Tsuzuki ! Pourquoi fallait-il qu'il soit si brillant ? Deux jours auparavant, Hisoka aurait donné n'importe quoi pour ne plus être soumis aux émotions de son partenaire. Maintenant, il grondait de frustration en se heurtant à l'écran hermétique que ce dernier avait élevé entre eux. Et le visage de Tsuzuki ne lui apportait pas plus d'indices. Son sourire amical, Hisoka s'en rendait compte maintenant, était celui qu'il lui avait vu arborer en présence de leurs collègues, durant ces deux derniers mois, alors que son cœur se tordait de peur et de douleur. Il était impossible de deviner ce qu'il dissimulait. Et la lueur qu'il voyait briller dans ces yeux d'améthyste, elle aussi, demeurait pour Hisoka une énigme.
Tsuzuki, finalement rassasié, prit une dernière gorgée de thé vert, s'essuya les mains et considéra son compagnon d'un air sérieux.
— Hisoka, à propos de ce qui s'est passé hier...
Hisoka eut l'impression que son cœur s'arrêtait.
— ... je dois dire que je suis assez préoccupé. Ce spectre qui t'a attaqué m'a tout l'air d'un esprit vengeur. Nous ne pouvons pas laisser quelque chose comme ça hanter le parc. Il va falloir l'exorciser. En plus, je voudrais bien revoir ce parc à la lumière du jour, au cas où l'on pourrait encore y trouver un indice quelconque. Je pense que le mieux serait d'y retourner dès maintenant, qu'en dis-tu ?
Un froid glacial envahit le corps du jeune shinigami qui hocha la tête, aucun son ne pouvant franchir sa gorge nouée. C'était tout, donc. Un esprit vengeur était l'événement le plus marquant de la soirée. Ses yeux s'emplirent de larmes, et il sentit une sorte de nausée monter en lui. Comme un automate, il suivit Tsuzuki hors du restaurant.
***
Quinze minutes plus tard, les deux homme se trouvaient de nouveau face à la grande grille de fer forgé. Hisoka était fier d'avoir réussi à ne pas pleurer, mais une sourde douleur s'était installée dans sa poitrine et ne le quittait plus. Tsuzuki lui jetait de temps à autre un regard interrogateur mais ne fit aucun commentaire.
Au moment ou les deux shinigami s'apprêtaient à franchir la grille, Gushoshin se matérialisa devant eux, serrant une grande enveloppe entre ses pattes griffues. Le petit dieu arborait une expression préoccupée.
— Ah, Hisoka, Monsieur Tsuzuki, je vous cherchais. J'ai du nouveau pour vous et ce n'est pas une bonne nouvelle, j'en ai peur. Le serveur est réparé et j'ai pu identifier vos deux suspects.
Sans rien ajouter, il tendit l'enveloppe à Tsuzuki qui l'ouvrit avec hâte. Dès qu'il eut jeté un œil au contenu, le shinigami se figea, et toute couleur disparut de son visage. Il entrouvrit les doigts, laissant glisser au sol l'enveloppe et deux photos. Hisoka baissa les yeux, et plaqua ses deux mains sur sa bouche pour retenir son cri. Depuis le pavé, le visage d'un homme brun inconnu, et le visage trop familier de l'homme au sourire cruel, aux cheveux d'argent et à l'œil gris acier les contemplaient.
Tsuzuki fut le premier à se ressaisir. Il ramassa les deux photos en hâte et les fourra de nouveau dans l'enveloppe.
— Il faut prévenir Nakamura ! Suis-moi, Hisoka ! s'écria-t-il en s'élançant en courant vers le commissariat.
***
Dix minutes plus tard, les deux shinigami, hors d'haleine, pénétraient en trombe dans le grand bâtiment. Sans prêter attention à l'exclamation outrée du planton, Tsuzuki se précipita vers le bureau de l'inspecteur, ouvrit la porte, pénétra dans la pièce, et s'arrêta net.
Nakamura était debout au milieu du bureau, plongé dans une discussion avec un jeune homme mince aux cheveux mi-longs. En voyant Tsuzuki et Hisoka apparaître, les deux hommes se turent, se retournèrent d'un même geste et dirigèrent vers les deux shinigami une paire de regards interrogateurs.
Réalisant son impolitesse, Tsuzuki s'inclina avec embarras.
— Je suis vraiment désolé pour cette intrusion, inspecteur Nakamura. Nous avions des nouvelles urgentes... Mais je vois que vous êtes occupé, donc nous attendrons dans le couloir...
— Mais non, mais non, ce n'est rien du tout, M. Tsuzuki ! dit l'inspecteur, remis de sa surprise, à Tsuzuki qui se dirigeait déjà vers la porte. Au contraire, vous tombez à pic. J'allais vous appeler. Permettez-moi de vous présenter Kiyoshi Oyama, dit-il en désignant de la main son compagnon.
— Oyama ?
— Oui, le jeune Kiyoshi est le frère aîné de l'infortuné Ichirô Oyama.
— Enchanté de faire votre connaissance, Monsieur Tsuzuki, dit le jeune homme en s'inclinant.
Kiyoshi Oyama ne paraissait pas plus de dix-neuf ou vingt ans. Il était très mince, et sa silhouette avait une apparence fragile malgré sa haute taille. Ses cheveux noirs ondulaient en boucles légères autour d'un visage régulier et sympathique qui rappelait en effet celui de l'adolescent de l'hôpital. Son sourire était timide mais direct. Il paraissait calme, mais ses traits tirés firent penser à Tsuzuki qu'il avait été durement affecté par l'agression de son frère.
— Tout le plaisir est pour moi, Monsieur Oyama, répondit Tsuzuki qui éprouvait une sympathie innée pour le jeune homme.
— Je vous en prie, appelez-moi Kiyoshi.
Hisoka se présenta à son tour d'un ton sec, foudroyant du regard le jeune homme surpris. L'inspecteur Nakamura repris la parole.
— Kiyoshi vient d'accepter de nous servir de chèvre. Je veux dire par là, reprit-il en hâte après avoir vu le regard interloqué que lui jetaient les deux shinigami, que nous avons décidé de tendre un piège au criminel et qu’il vient de nous proposer d'être notre appât. Les trois victimes ayant été vues pour la dernière fois avant leur enlèvement dans les environs du parc, nous avons l'intention de faire déambuler Kiyoshi dans le secteur à partir de ce soir. Peut-être criminel tentera-t-il de l'attaquer lui aussi.
— Quoi ? Mais c'est de la folie ! C'est hors de question, c'est bien trop dangereux ! s'insurgea Tsuzuki.
— Je comprends votre inquiétude, mais Kiyoshi sera bien protégé. Nous ne le quitterons pas du regard une seule seconde. De plus, ce genre d'opération est très commune et donne en général de bons résultats. Il n'y a rien à craindre.
— Non, vous ne comprenez pas, inspecteur ! Nous n'avons pas affaire à un criminel ordinaire ! Gushoshin a pu identifier vos suspects, dit Tsuzuki en extirpant les deux photos de l'enveloppe. Et l'un d'eux est une vieille connaissance, ajouta le shinigami avec air sombre en tendant l'une des photos à Nakamura. Docteur Kazutaka Muraki. Un homme extrêmement dangereux. Un psychopathe, dépourvu de toute conscience, qui se complaît dans la souffrance qu'il inflige à autrui. De plus, il possède d'étonnants pouvoirs magiques, au point que je doute parfois qu'il soit purement humain. Pardonnez-moi, inspecteur, mais je ne crois pas qu'aucun de vos hommes ne soit de taille à lutter contre lui.
— Mais quelle autre solution avons-nous ? L'enquête est au point mort. Chaque jour, chaque heure qui passe multiplie le risque que le criminel ne fasse une nouvelle victime. Au moins, avec cette opération nous prenons un risque contrôlé, avec le possible bénéfice de mettre la main sur le coupable. Comment allons-nous l'attraper, sinon ? Vous savez où le trouver, vous, ce Docteur Muraki ?
Tsuzuki marqua une hésitation, ne sachant que répondre. A dire vrai, il n'avait jamais eu besoin de trouver Muraki. C'est toujours Muraki qui l'avait trouvé, pensa-t-il avec un frisson.
— Monsieur Tsuzuki, intervint Kiyoshi d'une voix douce, l'inspecteur Nakamura ne m'a pas proposé de prendre un tel risque. C'est moi qui suis venu lui faire cette proposition. Chaque fois que je visite Ichirô à l'hôpital... Chaque fois que je pense à lui... Comment puis-je vous expliquer ? Il était tellement brillant, vif, plein de gentillesse, et maintenant...
La voix du jeune homme se brisa et il prit une longue inspiration avant de continuer.
— Je veux vous aider. Je veux que le salaud qui a fait ça à Ichirô soit puni. Je me fiche du risque... Je veux vous aider.
Tsuzuki, le cœur serré, regarda le jeune homme qui retourna son regard avec une complète détermination. Quelle autre solution avaient-ils, en effet ? L'inspecteur avait raison. Avec chaque heure qui passait, les chances que Muraki ne s'attaque à un autre innocent augmentaient. Il n'était pas du genre à s'arrêter là, Tsuzuki le savait.
— Bon... d'accord. Mais j'aimerais poser deux conditions. Un, nous venons avec vous. Vous aurez besoin de notre aide si Muraki se montre.
— Ça, c'est une condition que j'accepte avec plaisir, monsieur Tsuzuki ! répondit l'inspecteur avec un large sourire, visiblement soulagé.
— Et deux, nous commençons immédiatement... Euh, je veux dire, juste après déjeuner. Nous n'attendrons pas jusqu'à ce soir. Le parc n'est pas sûr la nuit.
Nakamura lui jeta un regard surpris.
— D'accord, comme vous voudrez.
Puis il consulta sa montre, et ajouta :
— Dans ce cas, pourquoi ne venez vous pas tous les deux déjeuner avec nous ? Après ça, nous ferons les préparatifs pour notre souricière.
***
Le fait qu'ils aient mangé un copieux petit déjeuner moins de deux heures auparavant ne semblait pas avoir affecté le moins du monde l'appétit de Tsuzuki, qui dévora son repas avec son enthousiasme coutumier tout en interrogeant Kiyoshi sur ses études. Hisoka, quant à lui, ne desserra pas les dents de tout le repas, pas même pour manger. Muré dans un silence morose, il se contenta de lancer de temps à autres des regards noirs à Kiyoshi. Il était conscient du fait que Tsuzuki, entre deux bouchées, ne cessait de lui jeter des coups d'œil inquiets, mais il ne fit rien pour rassurer son partenaire. Lorsque Tsuzuki avança les doigts sous la table pour saisir les siens, il le repoussa d'un revers sec de la main. Tsuzuki n'insista pas. L'œil amusé avec lequel Nakamura observait la scène agaça d'autant plus Hisoka.
Les quatre hommes finirent rapidement leur repas et retournèrent au commissariat. Une heure après, tous avaient pris position dans le parc. Kiyoshi, assis sur un banc dans un secteur isolé du parc, semblait absorbé dans la lecture d'un magasine. Embusqués à quelques mètres de lui, Tsuzuki, Hisoka et Nakamura ne le quittaient pas des yeux.
Après une heure d'attente infructueuse, ils changèrent de stratégie. Kiyoshi se mit à flâner le long des allées ombragées, suivi à une trentaine de mètres par ses trois protecteurs. L'opération se poursuivit pendant plusieurs heures. Même Hisoka ne pouvait qu'admirer la détermination de Kiyoshi.
La nuit commençait à tomber sur le parc et Tsuzuki était sur le point de mettre un terme à l'opération pour la journée lorsqu'un homme de haute taille aux muscles puissants interpella Kiyoshi, une carte de la ville en main. Alors que le jeune homme se penchait sur la carte pour l'aider, un autre homme surgit de derrière un arbre et s'approcha de lui dans son dos. Nakamura et les deux shinigami, qui reconnurent immédiatement l'homme de la photo, s'élancèrent, mais l'homme fut plus rapide qu'eux. Il plaqua un tampon sous le nez du jeune homme qui s'écroula. L'homme à la carte saisit le corps inconscient du jeune homme, le chargea sur son épaule et les deux malfaiteurs détalèrent, Tsuzuki, Hisoka et Nakamura sur leurs talons.
Le parc devenait plus obscur de minute en minute, rendant la poursuite plus difficile. Les trois enquêteurs étaient enfin sur le point de rejoindre les fugitifs lorsqu'il sentirent un vent froid tourbillonner autour d'eux. Un instant plus tard, avec un hurlement sinistre, une grande ombre noire fondait sur eux. Tsuzuki et Hisoka, atterrés, reconnurent la signature psychique de l'esprit qui les avait attaqué la veille.
L'esprit vengeur mit toute sa puissance dans l'attaque, projetant brutalement les trois hommes dans les airs. Nakamura heurta violemment un arbre de la tête et s'effondra, inconscient. Tsuzuki et Hisoka furent projetés au sol. Après quelques instants ils se relevèrent péniblement, étourdis mais conscients. Déjà l'esprit revenait à la charge, concentrant cette fois son attaque sur Tsuzuki. Avec un grognement de frustration, le shinigami sortit un Fuda de sa poche intérieure et entonna une incantation.
Pendant une fraction de seconde, Hisoka hésita, considérant d'un coté Nakamura inconscient et Tsuzuki aux prises avec l'esprit vengeur, de l'autre les deux bandits qui, portant toujours leur fardeau, étaient sur le point de disparaître au bout de l'allée. Laissant Tsuzuki se charger du spectre, il bondit à la poursuite des deux hommes.
Lorsqu'il vit Hisoka s'élancer, Tsuzuki hocha la tête avec approbation. Au moins, ils ne perdraient pas la trace de Kiyoshi. Maintenant, il ne lui restait plus qu'à en finir rapidement avec l'esprit pour aller aider son partenaire.
Suspendu dans les airs à deux mètres de Tsuzuki, l'esprit vengeur hurlait, projetant toute sa rage, sa colère, sa douleur sous forme de noires volutes d'énergie en direction du shinigami. Ses yeux paraissaient des gouffres sans fond, vastes étendues noires parsemées d'étoiles scintillantes. Son visage se tordait dans une grimace de haine et de désespoir. Ses longs cheveux s'agitaient dans la tourmente d'énergie qui l'environnait.
Et soudain, cette silhouette aux long cheveux, qui n'avait presque plus rien d'humain, parut familière à Tsuzuki. L'image de la jeune fille de l'hôpital, assise sur le lit, les yeux vides, lui revint en mémoire. "Michiko !" s'écria-t-il. L'esprit se tut pour un instant, inclinant la tête, puis se remis à hurler.
C'était bien elle. Un esprit vengeur était avant tout une âme tourmentée qui n'avait pu trouver le repos dans la mort. Les horreurs subies par la jeune fille durant sa captivité avaient conduit son âme vers la folie, la privant de son humanité.
— Michiko ! Arrête ! Je comprends ta douleur ! Ce que tu as subi était horrible, mais à quoi bon causer encore plus de destruction ? Michiko ! Il est temps de pardonner, de poursuivre ta route...
Mais c'était inutile. Le spectre hurlant et grimaçant qui faisait face à Tsuzuki ne pouvait plus être raisonné. Ce n'était plus qu'une boule de haine et de douleur, dont toute l'énergie était tendue vers la destruction.
Lorsque l'esprit qui avait été Michiko Aoki lança son attaque, Tsuzuki était prêt. L'aura rouge qui émanait du shinigami se heurta aux volutes d'énergie noire, les entourant, les contenant. Le fin papier du Fuda entre les doigts, Tsuzuki entonna la prière d'exorcisme Bouddhiste. Lorsqu'il articula la dernière syllabe, "Baï !" l'esprit vengeur, avec un dernier cri déchirant, disparut dans le néant.
Tsuzuki tomba à genoux en serrant les poings, la tête baissée. Un sanglot agita ses épaules et de chaudes larmes coulèrent sur ses joues, larmes versées pour la jeune fille dont la vie avait été arrachée par Muraki et dont il venait de priver l'âme, à tout jamais, du repos éternel.
Malgré la tristesse qui l'accablait, le shinigami se força à se ressaisir. Il se redressa rapidement. En quelques bonds il était aux côtés de Nakamura toujours inconscient, et pressait un doigt contre son cou. Pour l'instant, il ne pouvait rien faire de mieux que de s'assurer que l'inspecteur était toujours en vie. Il regarda avec angoisse l'allée sombre et vide. Il y avait maintenant longtemps que Hisoka s'était élancé à la poursuite des deux hommes. Trop longtemps. Une boule d'appréhension lui serrant le ventre, Tsuzuki s'élança à son tour.
***
Ayant laissé derrière lui ses deux compagnons, Hisoka courait à perdre haleine. Les deux kidnappeurs, profitant de la diversion causée par le spectre, avaient pris de l'avance, mais leur fardeau ralentissait leur course et Hisoka gagnait du terrain. Le jeune shinigami n'était plus qu'à quelques dizaines de mètres des deux hommes lorsque ceux-ci atteignirent la grille du parc et se précipitèrent vers une fourgonnette beige. Ils ouvrirent en toute hâte l'un des battants de la porte arrière et jetèrent leur victime à l'intérieur sans ménagement. Puis, claquant la porte à la volée, ils sautèrent dans la cabine avant et démarrèrent.
Hisoka hésita encore une fois et jeta un coup d'œil par dessus son épaule. L'allée était déserte. La lueur rouge et lointaine qui tachait le ciel lui apprit que, quelque part au milieu du parc, Tsuzuki était toujours aux prises avec l'esprit vengeur. Le moteur de la fourgonnette vrombit, les roues patinèrent, et le véhicule s'élança dans un crissement de pneus, emportant Kiyoshi. En une fraction de seconde, Hisoka prit sa décision. Il bondit vers la fourgonnette, ses doigts agrippèrent de justesse l'extrémité de la galerie et il se plaqua contre la porte arrière, les pieds sur le pare-choc, alors que le véhicule fonçait dans l'avenue déserte.
La fourgonnette prenait de la vitesse, et la situation de Hisoka devenait de plus en plus précaire. Chaque virage sec manquait de le désarçonner. Il profita d'un feu rouge pour lâcher d'une main la galerie et tester la poignée de la porte. Les hommes, dans leur hâte, avaient oublié de la verrouiller. Ouvrant avec précaution, il se glissa à l'intérieur et referma la porte le plus silencieusement possible. Pendant de longues minutes il resta immobile, le cœur battant, s'attendant à tout moment à ce que la fourgonnette ne s'arrête et que les kidnappeurs ne fassent irruption dans son refuge précaire. Mais la chance semblait être avec lui : l'écran de séparation entre la cabine du conducteur et l'arrière du véhicule était fermé, et le bruit du moteur devait avoir couvert tous les autres car la fourgonnette continua sa route sans que les deux hommes ne s'inquiétassent de leur passager clandestin.
L'obscurité était presque totale. Seul un rai de lumière filtrait sous la porte arrière. A tâtons, il trouva le corps toujours inerte de Kiyoshi, l'examina sommairement et poussa un soupir de soulagement. Le jeune homme respirait normalement ; son pouls était faible mais régulier. Continuant son inspection, Hisoka rencontra aussi, dans un coin, de vieilles couvertures à l'odeur de cambouis sous lesquelles il pourrait se dissimuler en cas de besoin.
Bientôt la fourgonnette s'arrêta, et Hisoka entendit le bruit de moteur électrique et les grincements mécaniques d'une porte de garage qui s'ouvrait. Le véhicule avança encore un peu avant de s'arrêter définitivement, moteur coupé. La porte arrière s'ouvrit brutalement. Recroquevillé sous les couvertures, Hisoka retenait son souffle. Il entendit l'un des hommes faire glisser le corps de Kiyoshi hors du véhicule, puis la porte se referma.
Le cœur battant, Hisoka resta immobile, l'oreille aux aguets. S'il quittait trop tôt son refuge, il se précipiterait entre les mains de ses ennemis ; s'il attendait trop, il risquait de perdre la trace de Kiyoshi.
Après une ou deux minutes, il lui sembla entendre une porte claquer au loin ; sans doute les deux hommes avaient-ils quitté le garage. Hisoka ouvrit la porte avec précaution, mais la lumière crue des halogènes, après l'obscurité de la camionnette, l'aveugla. Une voix résonna à ses oreilles, cynique, froide, et proche, trop proche de lui :
— Tiens, tiens ! Comme c'est gentil à vous de nous rendre visite ! Soyez le bienvenu dans mon humble demeure, Monsieur Kurosaki.
Son sang se glaça. A travers les papillons qui dansaient devant ses yeux, Hisoka devina plus qu'il ne la vit la haute silhouette blanche qui se dressait devant lui. Au fur et à mesure que ses pupilles s'adaptaient de nouveau à la lumière, il distingua le sourire cruel, l'œil gris à l'éclat glacé, et l'œil artificiel aux reflets bleutés presque entièrement dissimulé sous une mèche de cheveux argentés du docteur Muraki.
***
Lorsque Tsuzuki, à bout de souffle, atteignit à son tour la grille, l'allée était vide, de même que la longue avenue qui longeait le parc. Ni Hisoka ni les kidnappeurs et leur victime n'étaient plus en vue. Sentant la panique monter en lui, Tsuzuki hurla le nom de son partenaire, mais seul le hululement ennuyé d'une chouette lui répondit.
Le ventre noué, Tsuzuki essaya de forcer son esprit affolé à réfléchir. Les deux hommes, Hisoka sur leurs talons, avaient-il bifurqué à un moment ou à un autre ? Etaient-ils toujours dans le parc ? C'était possible... Tsuzuki remarqua alors l'odeur de caoutchouc brûlé, mêlée à celle moins prégnante de carburant diesel, qui flottait encore dans l'air. Il baissa les yeux et aperçut les traces de pneus noires qui maculaient l'asphalte. Il s'accroupit et posa la main sur les marques. Elles étaient tièdes.
Il eut l'impression que son cœur s'arrêtait. Il n'y avait plus de doute, les kidnappeurs s'étaient enfui en voiture, emportant avec eux Kiyoshi et, très probablement, Hisoka. Avaient-il réussi, d'une façon ou d'une autre, à s'emparer du jeune shinigami ? Ou ce dernier les avait-ils suivi à leur insu ? Qu'importe. Au bout du voyage, celui qui attendait son jeune partenaire, Tsuzuki n'en doutait plus, c'était leur ennemi juré, le redoutable Muraki.
Tsuzuki s'affaissa, agité de frissons incontrôlables, et continua de murmurer "Hisoka... Hisoka..." tout en sachant que le jeune homme ne lui répondrait pas. L'angoisse le paralysait. Son esprit semblait engourdi. La seule image qui revenait devant ses yeux, encore et encore, était celle du corps violenté et des yeux sans vie de Ichirô Oyama. Seulement, c'était maintenant Hisoka qu'il voyait à sa place, assis dans le fauteuil de la chambre d'hôpital.
"Arrête ça. Cesse de paniquer. Réfléchis. Il n'y a que toi qui puisses l'aider. REFLECHIS ! Il sont partis en voiture. Et ensuite ? Où ont-ils pu les emmener ? Là où se trouve Muraki, bien sûr. Mais OU ? Réfléchis !"
Frénétiquement, Tsuzuki tenta de se remémorer les détails de l'affaire. Du sable et de la poussière avaient été retrouvés sur les victimes. Du sable ? Près de la mer ? Pas suffisant. Nagasaki était un port, après tout. De la poussière ? Un endroit vieux... abandonné... Pas trop loin, dans la ville ou dans sa banlieue, sans doute, puisque les victimes avaient été ramenées jusqu'au parc... À moins que les criminels ne se soient donné cette peine pour brouiller les pistes ? Tsuzuki secoua la tête. Il n'avait pas le temps de se perdre en conjectures, il fallait qu'il trouve, et vite.
Il se retourna en entendant son nom et se releva. L'inspecteur Nakamura s'avançait vers lui, tentant de courir, mais encore chancelant sous l'effet du coup qu'il avait reçu. Il se tenait la tempe, et un filet de sang s'écoulait entre ses doigts.
— Nakamura ? Ça va ?
— Ça ira, répondit l'inspecteur d'une voix mal assurée. Où sont-ils ?
— Partis. En voiture. Vous avez une carte de la ville ?
L'inspecteur fronça les sourcil, puis fouilla les poches de son pardessus et en extirpa une vieille carte écornée.
— Vous connaissez la ville, reprit Tsuzuki. Repérez sur la carte tous les entrepôts désaffectés ou les bâtiments industriels hors d'usage auxquels vous pourrez penser. Tout ce qui pourrait servir de repaire aux criminels. Grand, isolé, abandonné. Dans la ville et sa banlieue.
Nakamura acquiesça et se mit au travail. Tsuzuki se pencha par dessus son épaule et regarda la carte. Deux des sites que Nakamura avait repérés se trouvaient en bordure de mer.
— Celui-là, qu'est-ce que c'est ? demanda Tsuzuki en désignant du doigt un point près du port.
— Les docks. Il y a une série d'entrepôts où sont stockées les marchandises qui arrivent par porte-conteneurs. Certains sont désaffectés.
Tsuzuki fronça les sourcils. Il y avait probablement pas mal d'animation autour du port, même si certains entrepôts étaient hors d'usage...
— Et celui-là ? dit-il en posant le doigt sur l'autre point situé près l'océan, à l'écart du centre ville.
— C'étaient les locaux d'une entreprise spécialisée dans la haute technologie. Il fabriquaient des puces d'ordinateur ou quelque chose comme ça. Mais l'entreprise a fait faillite et personne n'a encore réoccupé le site.
Tsuzuki repensa à l'immense laboratoire abandonné qui avait servi de repaire à Muraki à Kyoto. Une usine de composants électroniques cadrait bien avec le personnage.
— Allons y jeter un œil. Vite, s'écria Tsuzuki en s'élançant vers la voiture de l'inspecteur.
Hisoka avait peur. Il avait mal. Son souffle s'échappait de sa poitrine en longs râles douloureux. L'immense dragon blanc avait enroulé son corps écailleux autour du torse du jeune homme et resserrait son étreinte, menaçant de lui briser les côtes. Sa gigantesque gueule aux crocs acérés se balançait à quelques dizaines de centimètres de son visage. Hisoka, envahi de panique, se démenait, tentant sans succès d'échapper à l'étreinte du monstre. Déjà, sa vision se brouillait. Il poussa un hurlement de terreur.
Réveillé par son propre cri, le jeune shinigami écarquilla les yeux et s'agita encore pendant quelques secondes, le souffle court, avant de réaliser que le dragon n'était qu'un cauchemar. Il poussa un soupir de soulagement, mais dans un coin de son esprit le monstre enserrait toujours une victime. Hisoka pris alors conscience de la présence de Tsuzuki à ses côtés, toujours pressé contre lui dans le lit trop étroit pour deux. Tsuzuki qui s'agitait et gémissait faiblement dans son sommeil, le front couvert de sueur. Hisoka toucha doucement l'épaule de son compagnon. Tsuzuki s'agita un peu plus, sans toutefois s'éveiller. Dans l'esprit de Hisoka, l'image du dragon se dissipa peu à peu. Tsuzuki s'immobilisa de nouveau, cessa de gémir, et son visage retrouva une expression sereine.
Hisoka soupira. Evidemment, quand il dormait, Tsuzuki ne pouvait plus contrôler ses pensées. Serré étroitement contre son partenaire, il était inévitable qu'il partage avec lui ses cauchemars. Hisoka se dégagea doucement du bras que Tsuzuki passait toujours autour de son torse et se leva. Le contraste entre la chaleur du corps de son compagnon et l'air frais de la chambre lui arracha un frisson. Il se dirigea néanmoins vers l'autre lit, se glissant sans plaisir entre les draps froids, et soupira une fois de plus, misérablement. Il ne s'était encore jamais senti aussi seul dans un lit.
Pendant de longues minutes il resta immobile, les yeux grand ouverts, contemplant le visage de son compagnon que baignait la lueur pâle de la lune. Il lui semblait que, s'il le quittait des yeux ne serait-ce qu'un instant, cette... chose qu'il y avait désormais entre eux, que son esprit peinait encore à appréhender mais que son cœur savait infiniment précieuse et infiniment fragile, se dissiperait à jamais. Il ne pouvait cesser de penser à l'image que Tsuzuki avait projeté dans son esprit, à l'aveu qu'il avait déchiffré sur ses lèvres, et son cœur s'accélérait de joie et de panique mêlées à l'idée que peut-être, un jour, il entendrait ce même aveu de la voix chaude et caressante d'un Tsuzuki bien réel.
***
Quand il se réveilla de nouveau il faisait déjà grand jour et le soleil entrait à flots dans la petite chambre. Hisoka se frotta les yeux et regarda autour de lui. A l'autre bout de la chambre, assis sur le second lit, le dos appuyé contre le mur, Tsuzuki le contemplait en silence, le visage grave. Pendant un instant, le jeune shinigami crut apercevoir, dans les yeux violets de son partenaire, une peine profonde, mais un instant après cette expression avait disparu, remplacée par le sourire jovial qui éclaira le visage de son aîné.
— Aaah, tu émerges enfin ! Est-ce que tu as une idée de l'heure qu'il est ? Presque dix heures, espèce de marmotte ! Dépêche-toi de te préparer, qu'on puisse aller acheter quelque chose à manger. Je meurs de faim, et je me refuse à continuer cette enquête tant que je n'ai pas quelque chose de solide dans l'estomac.
Hisoka, encore désorienté, acquiesça d'un hochement de tête et se dirigea vers la salle de bain sans un mot, et en évitant de croiser le regard de son partenaire. Ce matin, il éprouvait une gêne curieuse en présence de Tsuzuki, et l'attitude de franche camaraderie de ce dernier, paradoxalement, ne faisait rien pour le mettre à l'aise. A quoi s'était-il attendu ? Pas forcément à un baiser enflammé en guise de salut matinal… Mais pas non plus à ce que Tsuzuki agisse comme s'il ne s'était rien passé du tout entre eux. Le cœur serré d'appréhension, Hisoka procéda à une toilette rapide avant de rejoindre Tsuzuki.
Les deux hommes se mirent immédiatement en quête d'un petit restaurant, et bientôt tous deux étaient attablés devant un appétissant bol de riz, tandis que des plats chargés de poissons grillés et salade d'algues garnissaient la table. Avec un "itadakimasu ! " hâtif, Tsuzuki se jeta sur la nourriture. Hisoka, réalisant soudain qu'il avait, lui aussi, l'estomac dans les talons, l'imita avec à peine plus de retenue. Pas étonnant qu'ils aient si faim, ils avaient sauté le repas du soir ! Et, en repensant à ce qu'ils avaient fait exactement en guise de dîner, Hisoka sentit un fard monumental lui envahir le visage.
Tsuzuki, pendant ce temps, semblait parfaitement à l'aise et mastiquait de bon cœur. Il n'avait toujours fait aucune allusion aux événements de la veille, et plus le temps passait, moins Hisoka savait comment aborder le sujet. Comment Tsuzuki pouvait-il être aussi oublieux alors que lui, Hisoka, ne pouvait penser à rien d'autre ? Leurs baisers, leurs étreintes, ce désir intense qui les avait poussé l'un vers l'autre, cela n'avait-il rien signifié pour Tsuzuki ? Et cet aveu détourné, murmuré par une image qui n'avait existé que dans leur esprit... Est-ce que tout cela n'avait été qu'un jeu pour l'aîné des shinigami ? Hisoka sentit monter en lui une rancœur blessée. Il se sentait trompé, mais en même temps il se rendait compte que ce sentiment était totalement injuste car après tout, Tsuzuki ne lui avait jamais rien promis.
Hisoka tendit toute son attention vers l'homme qui lui faisait face, tentant de déchiffrer ses émotions, et se heurta à un mur. Depuis la veille, l'aîné des shinigami semblait avoir encore perfectionné son écran mental. Maudit Tsuzuki ! Pourquoi fallait-il qu'il soit si brillant ? Deux jours auparavant, Hisoka aurait donné n'importe quoi pour ne plus être soumis aux émotions de son partenaire. Maintenant, il grondait de frustration en se heurtant à l'écran hermétique que ce dernier avait élevé entre eux. Et le visage de Tsuzuki ne lui apportait pas plus d'indices. Son sourire amical, Hisoka s'en rendait compte maintenant, était celui qu'il lui avait vu arborer en présence de leurs collègues, durant ces deux derniers mois, alors que son cœur se tordait de peur et de douleur. Il était impossible de deviner ce qu'il dissimulait. Et la lueur qu'il voyait briller dans ces yeux d'améthyste, elle aussi, demeurait pour Hisoka une énigme.
Tsuzuki, finalement rassasié, prit une dernière gorgée de thé vert, s'essuya les mains et considéra son compagnon d'un air sérieux.
— Hisoka, à propos de ce qui s'est passé hier...
Hisoka eut l'impression que son cœur s'arrêtait.
— ... je dois dire que je suis assez préoccupé. Ce spectre qui t'a attaqué m'a tout l'air d'un esprit vengeur. Nous ne pouvons pas laisser quelque chose comme ça hanter le parc. Il va falloir l'exorciser. En plus, je voudrais bien revoir ce parc à la lumière du jour, au cas où l'on pourrait encore y trouver un indice quelconque. Je pense que le mieux serait d'y retourner dès maintenant, qu'en dis-tu ?
Un froid glacial envahit le corps du jeune shinigami qui hocha la tête, aucun son ne pouvant franchir sa gorge nouée. C'était tout, donc. Un esprit vengeur était l'événement le plus marquant de la soirée. Ses yeux s'emplirent de larmes, et il sentit une sorte de nausée monter en lui. Comme un automate, il suivit Tsuzuki hors du restaurant.
***
Quinze minutes plus tard, les deux homme se trouvaient de nouveau face à la grande grille de fer forgé. Hisoka était fier d'avoir réussi à ne pas pleurer, mais une sourde douleur s'était installée dans sa poitrine et ne le quittait plus. Tsuzuki lui jetait de temps à autre un regard interrogateur mais ne fit aucun commentaire.
Au moment ou les deux shinigami s'apprêtaient à franchir la grille, Gushoshin se matérialisa devant eux, serrant une grande enveloppe entre ses pattes griffues. Le petit dieu arborait une expression préoccupée.
— Ah, Hisoka, Monsieur Tsuzuki, je vous cherchais. J'ai du nouveau pour vous et ce n'est pas une bonne nouvelle, j'en ai peur. Le serveur est réparé et j'ai pu identifier vos deux suspects.
Sans rien ajouter, il tendit l'enveloppe à Tsuzuki qui l'ouvrit avec hâte. Dès qu'il eut jeté un œil au contenu, le shinigami se figea, et toute couleur disparut de son visage. Il entrouvrit les doigts, laissant glisser au sol l'enveloppe et deux photos. Hisoka baissa les yeux, et plaqua ses deux mains sur sa bouche pour retenir son cri. Depuis le pavé, le visage d'un homme brun inconnu, et le visage trop familier de l'homme au sourire cruel, aux cheveux d'argent et à l'œil gris acier les contemplaient.
Tsuzuki fut le premier à se ressaisir. Il ramassa les deux photos en hâte et les fourra de nouveau dans l'enveloppe.
— Il faut prévenir Nakamura ! Suis-moi, Hisoka ! s'écria-t-il en s'élançant en courant vers le commissariat.
***
Dix minutes plus tard, les deux shinigami, hors d'haleine, pénétraient en trombe dans le grand bâtiment. Sans prêter attention à l'exclamation outrée du planton, Tsuzuki se précipita vers le bureau de l'inspecteur, ouvrit la porte, pénétra dans la pièce, et s'arrêta net.
Nakamura était debout au milieu du bureau, plongé dans une discussion avec un jeune homme mince aux cheveux mi-longs. En voyant Tsuzuki et Hisoka apparaître, les deux hommes se turent, se retournèrent d'un même geste et dirigèrent vers les deux shinigami une paire de regards interrogateurs.
Réalisant son impolitesse, Tsuzuki s'inclina avec embarras.
— Je suis vraiment désolé pour cette intrusion, inspecteur Nakamura. Nous avions des nouvelles urgentes... Mais je vois que vous êtes occupé, donc nous attendrons dans le couloir...
— Mais non, mais non, ce n'est rien du tout, M. Tsuzuki ! dit l'inspecteur, remis de sa surprise, à Tsuzuki qui se dirigeait déjà vers la porte. Au contraire, vous tombez à pic. J'allais vous appeler. Permettez-moi de vous présenter Kiyoshi Oyama, dit-il en désignant de la main son compagnon.
— Oyama ?
— Oui, le jeune Kiyoshi est le frère aîné de l'infortuné Ichirô Oyama.
— Enchanté de faire votre connaissance, Monsieur Tsuzuki, dit le jeune homme en s'inclinant.
Kiyoshi Oyama ne paraissait pas plus de dix-neuf ou vingt ans. Il était très mince, et sa silhouette avait une apparence fragile malgré sa haute taille. Ses cheveux noirs ondulaient en boucles légères autour d'un visage régulier et sympathique qui rappelait en effet celui de l'adolescent de l'hôpital. Son sourire était timide mais direct. Il paraissait calme, mais ses traits tirés firent penser à Tsuzuki qu'il avait été durement affecté par l'agression de son frère.
— Tout le plaisir est pour moi, Monsieur Oyama, répondit Tsuzuki qui éprouvait une sympathie innée pour le jeune homme.
— Je vous en prie, appelez-moi Kiyoshi.
Hisoka se présenta à son tour d'un ton sec, foudroyant du regard le jeune homme surpris. L'inspecteur Nakamura repris la parole.
— Kiyoshi vient d'accepter de nous servir de chèvre. Je veux dire par là, reprit-il en hâte après avoir vu le regard interloqué que lui jetaient les deux shinigami, que nous avons décidé de tendre un piège au criminel et qu’il vient de nous proposer d'être notre appât. Les trois victimes ayant été vues pour la dernière fois avant leur enlèvement dans les environs du parc, nous avons l'intention de faire déambuler Kiyoshi dans le secteur à partir de ce soir. Peut-être criminel tentera-t-il de l'attaquer lui aussi.
— Quoi ? Mais c'est de la folie ! C'est hors de question, c'est bien trop dangereux ! s'insurgea Tsuzuki.
— Je comprends votre inquiétude, mais Kiyoshi sera bien protégé. Nous ne le quitterons pas du regard une seule seconde. De plus, ce genre d'opération est très commune et donne en général de bons résultats. Il n'y a rien à craindre.
— Non, vous ne comprenez pas, inspecteur ! Nous n'avons pas affaire à un criminel ordinaire ! Gushoshin a pu identifier vos suspects, dit Tsuzuki en extirpant les deux photos de l'enveloppe. Et l'un d'eux est une vieille connaissance, ajouta le shinigami avec air sombre en tendant l'une des photos à Nakamura. Docteur Kazutaka Muraki. Un homme extrêmement dangereux. Un psychopathe, dépourvu de toute conscience, qui se complaît dans la souffrance qu'il inflige à autrui. De plus, il possède d'étonnants pouvoirs magiques, au point que je doute parfois qu'il soit purement humain. Pardonnez-moi, inspecteur, mais je ne crois pas qu'aucun de vos hommes ne soit de taille à lutter contre lui.
— Mais quelle autre solution avons-nous ? L'enquête est au point mort. Chaque jour, chaque heure qui passe multiplie le risque que le criminel ne fasse une nouvelle victime. Au moins, avec cette opération nous prenons un risque contrôlé, avec le possible bénéfice de mettre la main sur le coupable. Comment allons-nous l'attraper, sinon ? Vous savez où le trouver, vous, ce Docteur Muraki ?
Tsuzuki marqua une hésitation, ne sachant que répondre. A dire vrai, il n'avait jamais eu besoin de trouver Muraki. C'est toujours Muraki qui l'avait trouvé, pensa-t-il avec un frisson.
— Monsieur Tsuzuki, intervint Kiyoshi d'une voix douce, l'inspecteur Nakamura ne m'a pas proposé de prendre un tel risque. C'est moi qui suis venu lui faire cette proposition. Chaque fois que je visite Ichirô à l'hôpital... Chaque fois que je pense à lui... Comment puis-je vous expliquer ? Il était tellement brillant, vif, plein de gentillesse, et maintenant...
La voix du jeune homme se brisa et il prit une longue inspiration avant de continuer.
— Je veux vous aider. Je veux que le salaud qui a fait ça à Ichirô soit puni. Je me fiche du risque... Je veux vous aider.
Tsuzuki, le cœur serré, regarda le jeune homme qui retourna son regard avec une complète détermination. Quelle autre solution avaient-ils, en effet ? L'inspecteur avait raison. Avec chaque heure qui passait, les chances que Muraki ne s'attaque à un autre innocent augmentaient. Il n'était pas du genre à s'arrêter là, Tsuzuki le savait.
— Bon... d'accord. Mais j'aimerais poser deux conditions. Un, nous venons avec vous. Vous aurez besoin de notre aide si Muraki se montre.
— Ça, c'est une condition que j'accepte avec plaisir, monsieur Tsuzuki ! répondit l'inspecteur avec un large sourire, visiblement soulagé.
— Et deux, nous commençons immédiatement... Euh, je veux dire, juste après déjeuner. Nous n'attendrons pas jusqu'à ce soir. Le parc n'est pas sûr la nuit.
Nakamura lui jeta un regard surpris.
— D'accord, comme vous voudrez.
Puis il consulta sa montre, et ajouta :
— Dans ce cas, pourquoi ne venez vous pas tous les deux déjeuner avec nous ? Après ça, nous ferons les préparatifs pour notre souricière.
***
Le fait qu'ils aient mangé un copieux petit déjeuner moins de deux heures auparavant ne semblait pas avoir affecté le moins du monde l'appétit de Tsuzuki, qui dévora son repas avec son enthousiasme coutumier tout en interrogeant Kiyoshi sur ses études. Hisoka, quant à lui, ne desserra pas les dents de tout le repas, pas même pour manger. Muré dans un silence morose, il se contenta de lancer de temps à autres des regards noirs à Kiyoshi. Il était conscient du fait que Tsuzuki, entre deux bouchées, ne cessait de lui jeter des coups d'œil inquiets, mais il ne fit rien pour rassurer son partenaire. Lorsque Tsuzuki avança les doigts sous la table pour saisir les siens, il le repoussa d'un revers sec de la main. Tsuzuki n'insista pas. L'œil amusé avec lequel Nakamura observait la scène agaça d'autant plus Hisoka.
Les quatre hommes finirent rapidement leur repas et retournèrent au commissariat. Une heure après, tous avaient pris position dans le parc. Kiyoshi, assis sur un banc dans un secteur isolé du parc, semblait absorbé dans la lecture d'un magasine. Embusqués à quelques mètres de lui, Tsuzuki, Hisoka et Nakamura ne le quittaient pas des yeux.
Après une heure d'attente infructueuse, ils changèrent de stratégie. Kiyoshi se mit à flâner le long des allées ombragées, suivi à une trentaine de mètres par ses trois protecteurs. L'opération se poursuivit pendant plusieurs heures. Même Hisoka ne pouvait qu'admirer la détermination de Kiyoshi.
La nuit commençait à tomber sur le parc et Tsuzuki était sur le point de mettre un terme à l'opération pour la journée lorsqu'un homme de haute taille aux muscles puissants interpella Kiyoshi, une carte de la ville en main. Alors que le jeune homme se penchait sur la carte pour l'aider, un autre homme surgit de derrière un arbre et s'approcha de lui dans son dos. Nakamura et les deux shinigami, qui reconnurent immédiatement l'homme de la photo, s'élancèrent, mais l'homme fut plus rapide qu'eux. Il plaqua un tampon sous le nez du jeune homme qui s'écroula. L'homme à la carte saisit le corps inconscient du jeune homme, le chargea sur son épaule et les deux malfaiteurs détalèrent, Tsuzuki, Hisoka et Nakamura sur leurs talons.
Le parc devenait plus obscur de minute en minute, rendant la poursuite plus difficile. Les trois enquêteurs étaient enfin sur le point de rejoindre les fugitifs lorsqu'il sentirent un vent froid tourbillonner autour d'eux. Un instant plus tard, avec un hurlement sinistre, une grande ombre noire fondait sur eux. Tsuzuki et Hisoka, atterrés, reconnurent la signature psychique de l'esprit qui les avait attaqué la veille.
L'esprit vengeur mit toute sa puissance dans l'attaque, projetant brutalement les trois hommes dans les airs. Nakamura heurta violemment un arbre de la tête et s'effondra, inconscient. Tsuzuki et Hisoka furent projetés au sol. Après quelques instants ils se relevèrent péniblement, étourdis mais conscients. Déjà l'esprit revenait à la charge, concentrant cette fois son attaque sur Tsuzuki. Avec un grognement de frustration, le shinigami sortit un Fuda de sa poche intérieure et entonna une incantation.
Pendant une fraction de seconde, Hisoka hésita, considérant d'un coté Nakamura inconscient et Tsuzuki aux prises avec l'esprit vengeur, de l'autre les deux bandits qui, portant toujours leur fardeau, étaient sur le point de disparaître au bout de l'allée. Laissant Tsuzuki se charger du spectre, il bondit à la poursuite des deux hommes.
Lorsqu'il vit Hisoka s'élancer, Tsuzuki hocha la tête avec approbation. Au moins, ils ne perdraient pas la trace de Kiyoshi. Maintenant, il ne lui restait plus qu'à en finir rapidement avec l'esprit pour aller aider son partenaire.
Suspendu dans les airs à deux mètres de Tsuzuki, l'esprit vengeur hurlait, projetant toute sa rage, sa colère, sa douleur sous forme de noires volutes d'énergie en direction du shinigami. Ses yeux paraissaient des gouffres sans fond, vastes étendues noires parsemées d'étoiles scintillantes. Son visage se tordait dans une grimace de haine et de désespoir. Ses longs cheveux s'agitaient dans la tourmente d'énergie qui l'environnait.
Et soudain, cette silhouette aux long cheveux, qui n'avait presque plus rien d'humain, parut familière à Tsuzuki. L'image de la jeune fille de l'hôpital, assise sur le lit, les yeux vides, lui revint en mémoire. "Michiko !" s'écria-t-il. L'esprit se tut pour un instant, inclinant la tête, puis se remis à hurler.
C'était bien elle. Un esprit vengeur était avant tout une âme tourmentée qui n'avait pu trouver le repos dans la mort. Les horreurs subies par la jeune fille durant sa captivité avaient conduit son âme vers la folie, la privant de son humanité.
— Michiko ! Arrête ! Je comprends ta douleur ! Ce que tu as subi était horrible, mais à quoi bon causer encore plus de destruction ? Michiko ! Il est temps de pardonner, de poursuivre ta route...
Mais c'était inutile. Le spectre hurlant et grimaçant qui faisait face à Tsuzuki ne pouvait plus être raisonné. Ce n'était plus qu'une boule de haine et de douleur, dont toute l'énergie était tendue vers la destruction.
Lorsque l'esprit qui avait été Michiko Aoki lança son attaque, Tsuzuki était prêt. L'aura rouge qui émanait du shinigami se heurta aux volutes d'énergie noire, les entourant, les contenant. Le fin papier du Fuda entre les doigts, Tsuzuki entonna la prière d'exorcisme Bouddhiste. Lorsqu'il articula la dernière syllabe, "Baï !" l'esprit vengeur, avec un dernier cri déchirant, disparut dans le néant.
Tsuzuki tomba à genoux en serrant les poings, la tête baissée. Un sanglot agita ses épaules et de chaudes larmes coulèrent sur ses joues, larmes versées pour la jeune fille dont la vie avait été arrachée par Muraki et dont il venait de priver l'âme, à tout jamais, du repos éternel.
Malgré la tristesse qui l'accablait, le shinigami se força à se ressaisir. Il se redressa rapidement. En quelques bonds il était aux côtés de Nakamura toujours inconscient, et pressait un doigt contre son cou. Pour l'instant, il ne pouvait rien faire de mieux que de s'assurer que l'inspecteur était toujours en vie. Il regarda avec angoisse l'allée sombre et vide. Il y avait maintenant longtemps que Hisoka s'était élancé à la poursuite des deux hommes. Trop longtemps. Une boule d'appréhension lui serrant le ventre, Tsuzuki s'élança à son tour.
***
Ayant laissé derrière lui ses deux compagnons, Hisoka courait à perdre haleine. Les deux kidnappeurs, profitant de la diversion causée par le spectre, avaient pris de l'avance, mais leur fardeau ralentissait leur course et Hisoka gagnait du terrain. Le jeune shinigami n'était plus qu'à quelques dizaines de mètres des deux hommes lorsque ceux-ci atteignirent la grille du parc et se précipitèrent vers une fourgonnette beige. Ils ouvrirent en toute hâte l'un des battants de la porte arrière et jetèrent leur victime à l'intérieur sans ménagement. Puis, claquant la porte à la volée, ils sautèrent dans la cabine avant et démarrèrent.
Hisoka hésita encore une fois et jeta un coup d'œil par dessus son épaule. L'allée était déserte. La lueur rouge et lointaine qui tachait le ciel lui apprit que, quelque part au milieu du parc, Tsuzuki était toujours aux prises avec l'esprit vengeur. Le moteur de la fourgonnette vrombit, les roues patinèrent, et le véhicule s'élança dans un crissement de pneus, emportant Kiyoshi. En une fraction de seconde, Hisoka prit sa décision. Il bondit vers la fourgonnette, ses doigts agrippèrent de justesse l'extrémité de la galerie et il se plaqua contre la porte arrière, les pieds sur le pare-choc, alors que le véhicule fonçait dans l'avenue déserte.
La fourgonnette prenait de la vitesse, et la situation de Hisoka devenait de plus en plus précaire. Chaque virage sec manquait de le désarçonner. Il profita d'un feu rouge pour lâcher d'une main la galerie et tester la poignée de la porte. Les hommes, dans leur hâte, avaient oublié de la verrouiller. Ouvrant avec précaution, il se glissa à l'intérieur et referma la porte le plus silencieusement possible. Pendant de longues minutes il resta immobile, le cœur battant, s'attendant à tout moment à ce que la fourgonnette ne s'arrête et que les kidnappeurs ne fassent irruption dans son refuge précaire. Mais la chance semblait être avec lui : l'écran de séparation entre la cabine du conducteur et l'arrière du véhicule était fermé, et le bruit du moteur devait avoir couvert tous les autres car la fourgonnette continua sa route sans que les deux hommes ne s'inquiétassent de leur passager clandestin.
L'obscurité était presque totale. Seul un rai de lumière filtrait sous la porte arrière. A tâtons, il trouva le corps toujours inerte de Kiyoshi, l'examina sommairement et poussa un soupir de soulagement. Le jeune homme respirait normalement ; son pouls était faible mais régulier. Continuant son inspection, Hisoka rencontra aussi, dans un coin, de vieilles couvertures à l'odeur de cambouis sous lesquelles il pourrait se dissimuler en cas de besoin.
Bientôt la fourgonnette s'arrêta, et Hisoka entendit le bruit de moteur électrique et les grincements mécaniques d'une porte de garage qui s'ouvrait. Le véhicule avança encore un peu avant de s'arrêter définitivement, moteur coupé. La porte arrière s'ouvrit brutalement. Recroquevillé sous les couvertures, Hisoka retenait son souffle. Il entendit l'un des hommes faire glisser le corps de Kiyoshi hors du véhicule, puis la porte se referma.
Le cœur battant, Hisoka resta immobile, l'oreille aux aguets. S'il quittait trop tôt son refuge, il se précipiterait entre les mains de ses ennemis ; s'il attendait trop, il risquait de perdre la trace de Kiyoshi.
Après une ou deux minutes, il lui sembla entendre une porte claquer au loin ; sans doute les deux hommes avaient-ils quitté le garage. Hisoka ouvrit la porte avec précaution, mais la lumière crue des halogènes, après l'obscurité de la camionnette, l'aveugla. Une voix résonna à ses oreilles, cynique, froide, et proche, trop proche de lui :
— Tiens, tiens ! Comme c'est gentil à vous de nous rendre visite ! Soyez le bienvenu dans mon humble demeure, Monsieur Kurosaki.
Son sang se glaça. A travers les papillons qui dansaient devant ses yeux, Hisoka devina plus qu'il ne la vit la haute silhouette blanche qui se dressait devant lui. Au fur et à mesure que ses pupilles s'adaptaient de nouveau à la lumière, il distingua le sourire cruel, l'œil gris à l'éclat glacé, et l'œil artificiel aux reflets bleutés presque entièrement dissimulé sous une mèche de cheveux argentés du docteur Muraki.
***
Lorsque Tsuzuki, à bout de souffle, atteignit à son tour la grille, l'allée était vide, de même que la longue avenue qui longeait le parc. Ni Hisoka ni les kidnappeurs et leur victime n'étaient plus en vue. Sentant la panique monter en lui, Tsuzuki hurla le nom de son partenaire, mais seul le hululement ennuyé d'une chouette lui répondit.
Le ventre noué, Tsuzuki essaya de forcer son esprit affolé à réfléchir. Les deux hommes, Hisoka sur leurs talons, avaient-il bifurqué à un moment ou à un autre ? Etaient-ils toujours dans le parc ? C'était possible... Tsuzuki remarqua alors l'odeur de caoutchouc brûlé, mêlée à celle moins prégnante de carburant diesel, qui flottait encore dans l'air. Il baissa les yeux et aperçut les traces de pneus noires qui maculaient l'asphalte. Il s'accroupit et posa la main sur les marques. Elles étaient tièdes.
Il eut l'impression que son cœur s'arrêtait. Il n'y avait plus de doute, les kidnappeurs s'étaient enfui en voiture, emportant avec eux Kiyoshi et, très probablement, Hisoka. Avaient-il réussi, d'une façon ou d'une autre, à s'emparer du jeune shinigami ? Ou ce dernier les avait-ils suivi à leur insu ? Qu'importe. Au bout du voyage, celui qui attendait son jeune partenaire, Tsuzuki n'en doutait plus, c'était leur ennemi juré, le redoutable Muraki.
Tsuzuki s'affaissa, agité de frissons incontrôlables, et continua de murmurer "Hisoka... Hisoka..." tout en sachant que le jeune homme ne lui répondrait pas. L'angoisse le paralysait. Son esprit semblait engourdi. La seule image qui revenait devant ses yeux, encore et encore, était celle du corps violenté et des yeux sans vie de Ichirô Oyama. Seulement, c'était maintenant Hisoka qu'il voyait à sa place, assis dans le fauteuil de la chambre d'hôpital.
"Arrête ça. Cesse de paniquer. Réfléchis. Il n'y a que toi qui puisses l'aider. REFLECHIS ! Il sont partis en voiture. Et ensuite ? Où ont-ils pu les emmener ? Là où se trouve Muraki, bien sûr. Mais OU ? Réfléchis !"
Frénétiquement, Tsuzuki tenta de se remémorer les détails de l'affaire. Du sable et de la poussière avaient été retrouvés sur les victimes. Du sable ? Près de la mer ? Pas suffisant. Nagasaki était un port, après tout. De la poussière ? Un endroit vieux... abandonné... Pas trop loin, dans la ville ou dans sa banlieue, sans doute, puisque les victimes avaient été ramenées jusqu'au parc... À moins que les criminels ne se soient donné cette peine pour brouiller les pistes ? Tsuzuki secoua la tête. Il n'avait pas le temps de se perdre en conjectures, il fallait qu'il trouve, et vite.
Il se retourna en entendant son nom et se releva. L'inspecteur Nakamura s'avançait vers lui, tentant de courir, mais encore chancelant sous l'effet du coup qu'il avait reçu. Il se tenait la tempe, et un filet de sang s'écoulait entre ses doigts.
— Nakamura ? Ça va ?
— Ça ira, répondit l'inspecteur d'une voix mal assurée. Où sont-ils ?
— Partis. En voiture. Vous avez une carte de la ville ?
L'inspecteur fronça les sourcil, puis fouilla les poches de son pardessus et en extirpa une vieille carte écornée.
— Vous connaissez la ville, reprit Tsuzuki. Repérez sur la carte tous les entrepôts désaffectés ou les bâtiments industriels hors d'usage auxquels vous pourrez penser. Tout ce qui pourrait servir de repaire aux criminels. Grand, isolé, abandonné. Dans la ville et sa banlieue.
Nakamura acquiesça et se mit au travail. Tsuzuki se pencha par dessus son épaule et regarda la carte. Deux des sites que Nakamura avait repérés se trouvaient en bordure de mer.
— Celui-là, qu'est-ce que c'est ? demanda Tsuzuki en désignant du doigt un point près du port.
— Les docks. Il y a une série d'entrepôts où sont stockées les marchandises qui arrivent par porte-conteneurs. Certains sont désaffectés.
Tsuzuki fronça les sourcils. Il y avait probablement pas mal d'animation autour du port, même si certains entrepôts étaient hors d'usage...
— Et celui-là ? dit-il en posant le doigt sur l'autre point situé près l'océan, à l'écart du centre ville.
— C'étaient les locaux d'une entreprise spécialisée dans la haute technologie. Il fabriquaient des puces d'ordinateur ou quelque chose comme ça. Mais l'entreprise a fait faillite et personne n'a encore réoccupé le site.
Tsuzuki repensa à l'immense laboratoire abandonné qui avait servi de repaire à Muraki à Kyoto. Une usine de composants électroniques cadrait bien avec le personnage.
— Allons y jeter un œil. Vite, s'écria Tsuzuki en s'élançant vers la voiture de l'inspecteur.