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les princes sorciers

By: Alb
folder French › Originals
Rating: Adult
Chapters: 32
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Disclaimer: This is a work of fiction. Any resemblance of characters to actual persons, living or dead, is purely coincidental. The Author holds exclusive rights to this work. Unauthorized duplication is prohibited.
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Zhio

Dans l’extrême solitude où il vit, un sentiment domine : la haine.
Elle l’accompagne depuis sept siècles et habite la moindre fibre de son être. Chaque cellule en est imprégnée.
C’est elle qui lui permet de ne pas flancher, de repousser la folie qui le guette et à laquelle il est parfois tenté de s’abandonner.
Il ne peut mourir. Il ne peut qu’attendre et haïr. Se souvenir aussi, ce qui alimente sa haine. Un nom, un visage suffisent : Kaël.

Depuis toujours, des images lui parviennent de l’extérieur. Son esprit les saisit en vrac, mais il prend rarement la peine de les examiner. Il ne les comprend pas.
Le monde que les éphémères, ces créatures à l’existence si courte, si fugitive, sont en train de façonner lui est incompréhensible. Depuis qu’ils ont échappé à leurs gardiens, ils grouillent sur la planète, occupés à des tâches qu’il ne saisit pas.
Il y a deux ans, quelques uns sont arrivés sur l’île. Ils finiront par le découvrir et le libérer.
Ce sont eux qui lui ont rendu l’espoir, sans qu’ils s’en doutent. Ils ignorent sa présence, mais ils vont le trouver. C’est inéluctable. Une question de temps.
Il jaillira dans la lumière et se mettra en quête de Kaël afin de se venger…
Peut-être.
En effet, sa soif de vengeance est passée au second plan.

C’est un miracle. Un visage, un corps, mais surtout une odeur mentale qu’il a immédiatement reconnu, ont suffit. Un éphémère si doux à son souvenir, surgi du passé, mais bien présent aujourd’hui, lui a rendu l’espoir.

Zhio, prince sorcier déchu, ne comprend pas. Ça ne l’empêche pas d’accepter ce cadeau du destin. Qui serait assez fou pour rejeter une seconde chance sous le prétexte farfelu qu’il ne l’attendait pas ?

Jadis, il y a longtemps de ça, le monde était simple.

Il y a les gardiens, et Zhio est l’un d’eux. Son rôle : surveiller et protéger le troupeau d’éphémères dont il a la charge. C’est facile et il n’a aucun mal à s’en acquitter. Mais il se pose beaucoup de questions. Qui a confié cette mission à son peuple ? Que sont exactement ses créatures sur lesquels il doit veiller ? Pourquoi ont-elles une vie si courte ?
Il passe des nuits à en discuter avec celui qu’il considère comme son frère, Kaël, sans jamais trouver de réponses satisfaisantes.
Kaël se moque de lui, sans méchanceté.
– Tu es trop pressé, lui dit-il. Nous venons à peine de nous métamorphoser et tu veux tout savoir, tout comprendre. Il y a peu, tu étais un vorace qui ne se posait aucune question et ne songeait qu’à se nourrir. Sois patient. Cela viendra en son temps…
– A quoi ressemble un ancien ? lui demande alors Zhio. Est-il comme nous, juste vieilli, ou alors tout à fait autre ?
Kaël éclate d’un rire joyeux.
– Tu es toujours un vorace, guidé par son seul appétit, lui dit-il. Tu veux savoir…
Il devient sérieux et ajoute :
– Tu sauras lorsqu’ils viendront te chercher. Ils t’amèneront à Ath’ Land pour y être éduqué. Tu auras toutes les réponses que tu souhaites.
– Nous irons ensembles, murmure alors Zhio en le dévorant du regard.
Kaël a raison. Il est toujours un vorace insatiable guidé par son seul appétit.

Combien de bergers sont-ils ? Il l’ignore.
Zhio parcourt le monde avec son troupeau. De temps à autre, il rencontre un autre gardien. Kaël est celui qu’il préfère. Il se débrouille pour croiser sa route le plus souvent possible.
Ils échangent leurs éphémères préférés, ceux qui partagent leurs nuits lorsqu’ils sont seuls. Ils parlent, cherchent à comprendre le monde où ils vivent. Kaël fait semblant de savoir…
Ils sont ensembles.
Malgré les questions sans réponses, Zhio est au comble du bonheur. Il est très amoureux de Kaël et croit que c’est réciproque.
Une équation magique : aimer, et être aimé en retour.
Il fait partie de l’équation, et ça lui suffit.

Parfois, plusieurs années s’écoulent avant que leurs chemins ne se croisent à nouveau. Ce n’est pas important. Le temps ne compte pas. Un gardien ne meurt que s’il le désire, ou plutôt, il laisse sa place.
A sa connaissance, aucun gardien n’a jamais émis un tel désir. Plus tard, lorsqu’ils seront des anciens, ce sera peut-être différent.
Ils l’ignorent. Ils ont le temps de savoir. Pour l’instant, ce ne sont que des gosses.

Non, le temps ne compte pas pour eux. Ce n’est pas le cas pour les éphémères qui traversent leur existence à toute vitesse, semblables à des feux follets.
Ils n’ont pas le temps de s’attacher à l’un d’eux.

Aimer, c’est partager.
Quand ils sont ensembles, ils partagent tout, sans restriction.
Ils sont ensembles la nuit ou c’est arrivé. Ça aussi, ils l’ont partagé.

Au début, tout était normal.
Ils vident de leur substance vitale quelques éphémères en fin de vie ou malades. Ensuite, ils jouent avec un jeune éphémère jusqu’à l’épuisement.
Ils s’allongent afin de se reposer, mais leur peuple ne connaît pas le sommeil. Aucun berger ne peut s’y réfugier.
Alors, ils discutent de toute et de rien, comme toujours.
La nuit est claire. Des milliers d’étoiles brillent dans le ciel. Si les contes qui circulent parmi les gardiens sont vrais, l’un d’entre elles est celle autour de laquelle gravite une planète inconnue, celle d’où leur race vient.
C’est la fin. Ils l’ignorent encore, mais le monde qu’il connaissait va finir.
C’est rapide.
L’ennemi insidieux vient de l’espace et rien ne peut l’arrêter. Il tombe du ciel tel des gouttelettes de feu, et tout change, de façon irréversible.
La plupart des bergers vont mourir, sans le choisir et sans laisser la place à un autre. Les siens peuvent mourir. C’est une des révélations de cette nuit.
Les éphémères, infectés par le parasite venu de l’espace, deviennent autres et s’échappent.

Zhio et Kaël sont malades plusieurs jours avant de guérir.

Les survivants décident de se réunir. Cela prend peu de temps, quelques siècles. Comme ils n’ont plus de troupeaux, ils en sont réduits à chasser les éphémères comme du gibier.

Finalement, ils se retrouvent. Ils ne sont pas nombreux : 666 bergers. Jeunes, sans expériences, sans passé puisque les anciens semblent avoir disparus et, avec eux, la connaissance.
Ils ont peur. Ils ne savent que faire.
– Il faut réagir.
C’est Kaël qui dit ça. Celui qu’il hait aujourd’hui après l’avoir tant aimé.

Il aime se réfugier dans le passé, mais il vit dans le présent. Ici.
Comment décrire un endroit dont on ne voit rien ? Un océan de ténèbres ? Un tombeau ? Une immense caverne aménagée en temple et dont l’unique issue a été scellée par Kaël ? Le lieu où reposent les dépouilles de ceux qui se sont entretuées en son nom et celui de Kaël ? L’endroit où subsistent les restes d’un jeune éphémère qui est mort sous ses yeux ?
Non, c’est absurde. Il ne doit rien rester d’eux. Le temps a nettoyé les traces du carnage. Il reste juste lui, Zhio, prince sorcier, cloué au sol, incapable de mourir, incapable de vivre.

Ici ?
Ici n’est rien. Ce n’est que sa prison. Un lieu sans lumière et sans espoir où repose son corps : des os recouverts d’une peau sèche, tannée, pareille à du vieux cuir.
Et à l’intérieur de ce corps, un esprit qui vacille, boule étincelante de haine, qui attend que son rêve le rejoigne afin de nourrir son espoir renaissant.
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