La femme de son ennemi

Ils émergèrent dans un séjour transformé. Les boîtes en carton avaient disparu de la cuisine qui étincelait de propreté, le parquet et les meubles brillaient, un plaid coloré recouvrait le canapé.
Une odeur de pancakes flottait dans l'air, et Mac Gargan s'activait aux fourneaux.
- Ce crétin a fait le ménage toute la nuit » se plaignit Schultz, en sortant de sa chambre. Il lança un regard de reproche en direction de Mary Jane, qui demeurait bouche bée.

Mais déjà Venom l'entraînait vers la sortie. Ils se retrouvèrent face à un Mac Gargan très déterminé.
- Elle ne partira pas d'ici avant d'avoir mangé et bu quelque-chose » déclara-t-il avec fermeté.
La jeune femme sentit le monstre se tendre à ses côtés, et craignit pour la vie du Scorpion. Elle se demandait comment intervenir, lorsque Schultz déclara, sur un ton ennuyé :
- Tu ferais mieux de la nourrir si tu veux qu'elle te fasse de l'usage... »

Venom grogna, puis sembla se décider. Il la poussa vers l'homme au crâne rasé.
- Gardez-la jusqu'à notre retour. » Il hésita sur le palier, puis ajouta, sans se retourner. « Ne la touchez pas ». Mac Gargan eut un reniflement écœuré mais ne releva pas.
Dès qu'il fût sorti, Schultz déclara :
- Vous comprendrez bien que nous ne pouvons pas vous laisser partir. »
Elle hocha la tête.
- Je vous re...
Il l'arrêta d'un geste.
- Nous ne sommes pas des boys scouts. Ne dites rien que vous auriez à regretter par la suite.
- Mais nous ne sommes pas des monstres non plus » ajouta Mac Gargan, avec un regard d'avertissement en direction de son complice. « Merci, Herman ».
Celui-ci grommela quelque chose d'indistinct.

# # #

Ce petit déjeuner fut l'une des expériences les plus étranges de la vie de Mary Jane. Elle prenait un repas avec deux des ennemis de Peter, et ils discutaient cordialement, presque comme de vieux amis.
Pourtant, sous l'atmosphère bonne enfant demeurait une certaine tension, due peut-être au fait qu'elle était parfaitement consciente de la précarité de sa situation.

Sans compter le retour imminent de Venom, elle savait bien que l'attitude amicale des deux hommes changerait du tout au tout s'ils soupçonnaient seulement un instant qu'elle était la femme de Spiderman.
En attendant, elle profita de l'atmosphère bon enfant que créaient ses compagnons pour essayer de se détendre un peu.

- Alors, quel est le titre de ce fameux nouveau film dont Mac me rebat les oreilles ? Demanda Schultz en engouffrant une large portion de crêpe.
- La Créature du Lagon Noir...
Il leva un sourcil.
- N'êtes vous pas un peu jeune pour avoir joué dans cette production?
Vous n'êtes pas toute fraîche, mais tout de même... 1954?
Elle rosit un peu, surprise et heureuse d'avoir affaire à un cinéphile.
- C'est un remake...
- Et bien entendu vous reprenez le rôle du maillot blanc...
- Je nage bien.
- Évidemment. » Il fit un geste ironique en direction de leur compagnon. « Mac sera très heureux de voir ça... je suis sûr qu'il va essayer de m'emmener à l'avant-première samedi. Qui sait... puisque j'ai rencontré la star, je vais peut-être me laisser tenter... »
Mary Jane fut étonnée de se rendre compte qu'elle s'amusait.
- Je crains que vous ne soyez déçu. Le film n'est pas vraiment à la hauteur de l'original, et puisque vous n'appréciez pas l'actrice... »

Schultz sourit largement.
- Oh, mais nous vivons avec un spécialiste des effets spéciaux... Beck nous a largement démontré les miracles d'un bon maquillage et d'une solide post-production... »
Mac Gargan se leva, manifestement prêt à défendre l'honneur de son actrice préférée. « Schultz... »
Mary Jane éclata de rire, interrompant les deux hommes avant qu'ils n'en viennent aux mains. Ils parurent tous les deux un peu surpris.
- Oh non, laissez, c'est tellement différent de ce que j'entends toute la journée !
Vous avez raison Scho... » merde. Elle se reprit, trop tard: « M.Schultz. »

Les deux hommes la fixèrent. Le Schoker arborait un demi-sourire, et le Scorpion semblait consterné. Mary Jane sentit le sang se retirer de son visage.
- Ne vous en faites pas. Nous nous en doutions. Alors vous me connaissez. Et Mac ?
Elle baissa les yeux: inutile de nier.
- Le Scorpion...
- Beck?
- Mystério...
- Bravo! » il se pencha vers elle, les coudes posés sur la table. « Et pour Eddie, inutile de poser la question. » Son ton se fit taquin. « Seriez vous l'une de ces vigilantes masquées ? Miss Marvel... ou Miss Hulk, par exemple ? Cela expliquerait que Venom s'intéresse à vous... »

En dépit de son sentiment d'insécurité, Mary Jane gloussa à cette idée grotesque.
Mes nerfs sont à fleur de peau. faut que je cesse de rire à tout bout de champ.
Elle se reprit.
- Non... évidemment pas.
- Hum-hum... alors, comment expliquez-vous votre situation... particulière? »
Elle parla très vite:
- Heu... je suis l'actualité, et heu... vous vivez avec Venom et donc j'ai deviné qui vous étiez, et...et...Venom est peut-être un fan de cinema ? »

Ce fut au tour des deux hommes d'éclater de rire. Malgré elle, elle se joignit à eux. Schultz reprit son sérieux en premier.
- Vous savez que nous ne pourrons pas vous protéger de lui. »
Elle ravala la première réplique qui lui vint à l'esprit. Pourquoi voudriez-vous m'aider? Après tout ce qu'ils avaient fait, les deux hommes ne méritaient pas une telle réponse.
- Je comprends. »
Gargan lui tapota maladroitement l'épaule.
- Il est trop fort pour nous... mais avec les gants soniques d'Hermann, nous aurions peut-être une chance...
- Non. Je ne crois pas. Il est trop rapide.

-Précisément. »
Ils sursautèrent tous les trois. Venom se tenait dans le cadre de la porte et les regardait fixement.

Instinctivement, Mary Jane se leva et se plaça devant les deux hommes.
Vénom s'esclaffa dédaigneusement. Il était entièrement recouvert par son symbiote, et elle ne pouvait déchiffrer son expression.

- Vous voulez tenter votre chance? » fit-il d'une voix traînante, en l'ignorant ostensiblement.
Alarmée, Mary Jane vit Schultz amorcer un mouvement pour se lever.
- Pourquoi pas... »
Elle se passa une main sur les yeux. Ces hommes. Si elle ne réagissait pas vite, elle allait assister à un nouveau massacre. Très rapidement, avant de manquer de courage, elle se précipita vers Venom et lui fit face.

- Tu es venu me chercher? Finissons-en ! »
Il la saisit dans une étreinte de fer et la plaqua contre lui. Elle regarda les deux hommes et secoua faiblement la tête. Schultz lui répondit de la même manière, par un hochement imperceptible et se rassit. Gargan resta figé, telle une vivante allégorie de l'indécision. Les secondes s'étirèrent, puis Venom fit demi-tour et l'emporta.

# # #

- Il ne la tuera pas. »
Le Schocker avait l'air de vouloir se convaincre lui-même. Mac Gargan était furieux.
- Ah ouais? Et qu'est-ce qui te fait dire ça?
- Bah... il est allé à son appartement, l'a trouvée toute seule et au lieu de la finir sur place, ce qui aurait été plus simple, il l'a emmenée.
- Mais il était parti chercher Spiderman !
- Oui, et à sa place, il a trouvé... sa femme. Il aurait pu lui faire un très sale coup en la massacrant sur place.
- Tu savais?
- Depuis des années, tout comme toi. Comment l'as-tu découvert?
- Bah, je l'avais eu... j'avais ébranlé un mur et il l'a retenu avec sa toile, le faisant tomber sur lui au lieu de la foule...en bas... il a sauvé tous ces gens. Il était inconscient. Je lui ai arraché son masque...
- Et tu as vu que ce n'était qu'un gamin.
- Ouais... » Il passa sa main sur son crâne lisse et soupira. « Ce qui expliquait pourquoi il était si irritant, avec ses blagues nulles... et toi? »
- Par déduction. Le petit photographe prenait trop de clichés du héros. Je l'ai suivi, et je l'ai vu sortir de son appartement. Rien de trop compliqué.
J'ai voulu revendre l'info, mais... tu te souviens du massacre de cette famille ?
Celle de ce flic... Frank Castle. Ça avait fait la une des journaux pendant des jours. Je me suis dit que je ne voulais pas être responsable d'une telle boucherie. J'ai gardé l'info sous le coude et je ne m'en suis jamais servi. »

- Mary Jane est chouette, hein?
- Sublime.
- Je croyais qu'elle ne te plaisait pas?
- J'ai des yeux. J'ai menti. J'ai pensé qu'elle préfèrerait ne pas se sentir trop attirante... seule et entourée par des criminels. » Il regarda par la fenêtre.
Et murmura, comme une prière. « Il ne la tuera pas. »